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Le travail, c’est la santé ?

Les débats autour de la réforme des retraites auront fait couler beaucoup d’encre. Derrière le sujet du recul de l’âge de départ, la problématique de la santé reste essentielle ! Dans quel état physique finissons-nous notre carrière ? Conditions de travail, pénibilité, gestion du stress, maladies professionnelles, bien-être au travail… Si la prise en compte de la santé au travail s’est extrêmement améliorée au fil des siècles, des difficultés persistent. Quelles sont-elles ? Quelles sont les pistes d’amélioration ?

Une prise en compte évolutive de la santé au travail

La santé au travail n’était pas un sujet à l’époque du labeur agricole, du travail dans les mines ou à la chaîne. Les conditions de travail (le nombre d’heures hebdomadaires, l’intensité du travail, les postures, les temps de pauses, etc) étaient très difficiles, voire inhumaines. Elles ont d’ailleurs été dénoncées par Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes (1936), Robert Linhart dans L’Établi (1978), ou plus récemment Joseph Ponthus dans A la ligne (2019). Les travailleurs souffraient, et n’avaient que peu de temps de récupération pour compenser ce travail harassant. Cela a été petit à petit encadré. A titre d’exemple, en 1848, le temps de travail par semaine était en moyenne de 66 heures, contre moins de 37 heures en 2021.

Les choses ont évolué progressivement. Un premier jalon est posé en 1910 avec la naissance du Code du Travail. Par la suite, dans les années 1920, le médecin français René Barthe organise l’un des premiers services de médecine du travail, en mettant en place les soins d’urgence et de consultation, la collaboration avec les comités de sécurité et les services de prévention des accidents et maladies professionnelles, la sélection et l’orientation des ouvriers à l’embauche, etc. Le premier Institut Universitaire de Médecine du Travail est créé à Lyon en 1930, trois ans avant celui de Paris. La médecine préventive prend un tournant en 1946 avec la loi qui instaure la Médecine du Travail. Plus récemment, en 1982, ont été mis en place les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail pour les entreprises de plus de 50 salariés. L’arrivée des partenaires sociaux a permis de réguler petit à petit le cadre du travail, et d’obtenir des évolutions historiques. Aujourd’hui la prévention a trouvé sa place, la reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles est une réalité, et le suivi médical est individualisé. Non seulement la parole s’est libérée sur le besoin de prendre en compte la santé au travail, mais c’est surtout une obligation : la Cour des Comptes souligne qu’« en vertu du code du Travail, les entreprises portent la responsabilité de préserver la santé de leurs salariés ». Nous sommes ainsi passés d’une gestion paternaliste des salariés à un encadrement juridique pour tous.

Santé mentale et santé physique : des conditions de travail encore difficiles

La santé au travail reste néanmoins un enjeu majeur encore aujourd’hui, alors que près d’un million d’accidents du travail sont comptabilisés chaque année – dont 645 ont été mortels l’année dernière. Un niveau qui, tout comme celui des maladies professionnelles, se stabilise depuis le début des années 2010. En tête de liste des problèmes de santé identifiés par la médecine du Travail : les troubles musculosquelettiques et la dépression.

Et même si la situation n’est plus comparable avec l’époque des mines et des longues heures de travail à la chaîne, notamment avec l’utilisation d’outils technologiques comme les exosquelettes pour soulager le travail, ou le télétravail qui améliore la qualité de vie, des inconvénients persistent. Parallèlement avec ces évolutions économiques et sociétales, de nouveaux métiers souffrent d’une grande pénibilité et impactent directement la santé. De fait, comme le souligne Denis Maillard, « manutentionnaires, caristes et transporteurs sont venus prendre le relais des ouvriers de la chaîne tayloriste ; une nouvelle condition ouvrière est née. (…) A cette nouvelle condition ouvrière essentiellement masculine, à distance du client final, s’en ajoute une autre majoritairement féminine, à proximité de la relation de service et en lien personnel, voire intime, avec le client ou l’usager. ». Vincent Jarousseau les appelle « Les femmes du lien ». Dans ces différents métiers, le déplacement des corps, la position debout ou encore la manutention provoquent de la même façon une usure physique. Enfin, de nouvelles catégories de travailleurs restent éloignées de la médecine du travail, notamment les travailleurs indépendants, les commerçants, les artisans, les intérimaires, les sous-traitants, mais aussi certains salariés de TPE et PME.

Par ailleurs, la santé mentale est devenue une préoccupation, et notamment depuis la crise du Covid-19. Selon l’Apec, en 2022, un cadre sur quatre « estime que sa santé mentale s’est dégradée ces deux dernières années », avec l’hyperconnexion, le sentiment d’isolement, la démotivation, etc. Par exemple, en 2021, 1/3 des jeunes salariés travaillant dans un bureau en Île-de-France affirmaient se sentir « souvent » isolés. De plus, les Français estiment qu’ils travaillent dans des délais stricts et de plus en plus courts, en parallèle d’un faible soutien de leur hiérarchie, créant une anxiété au travail pour la moitié d’entre eux.

Selon une enquête de l’Ifop menée pour Diot-Siaci, en février 2022, 60% des salariés – en majorité des cadres – affirmaient que leur métier avait des conséquences négatives sur leur santé mentale, quand la moitié – cette fois principalement des ouvriers – parlait de conséquences négatives sur la santé physique. Aujourd’hui, il nous appartient à tous de reconnaitre que les conditions de travail ont évolué positivement. Néanmoins, des préoccupations persistent pour lesquelles nous devons trouver des solutions.

Un enjeu individuel et collectif

Si la pénibilité existe encore, les travailleurs en ont pleinement conscience et, à titre individuel, la tolèrent moins. C’est notamment vrai depuis la pandémie. Ainsi, la crise sanitaire « a mis l’accent sur la souffrance psychique et physique au travail, liée à l’augmentation de la productivité exigée des salariés, à l’individualisation des tâches et à l’invasion du numérique ». Le Covid nous a rattrapés sur la nécessité de s’écouter et prendre soin de soi, de vouloir une meilleure conciliation vie professionnelle / vie personnelle. Il est ainsi de la responsabilité individuelle de définir ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas pour soi-même (hyperconnexion, horaires atypiques, port de charges lourdes, durée du temps de trajet, etc).

Mais les choses ne peuvent s’améliorer par la seule volonté des travailleurs. Les entreprises ont un rôle central à jouer en matière de santé et de sécurité, et doivent notamment définir des stratégies de prévention et d’accompagnement à destination de tous les collaborateurs. Selon une enquête d’Ipsos-Predilife publiée en mai 2023, au-delà des obligations légales et réglementaires des AT/MP, seules 11% des organisations « mettent en place des actions liées à la santé », alors que 80% des salariés souhaiteraient se voir proposer des bilans de santé pour prévenir des maladies graves. Accompagner les travailleurs sur la santé est multi-bénéfique : cela permet de renforcer l’image de l’entreprise et ainsi améliorer son attractivité et réduire le turn-over, mais aussi de diminuer l’absentéisme, offrir aux salariés une meilleure motivation (liée à la reconnaissance de leurs besoins), et in fine une plus grande productivité.

C’est sur ces points là qu’il nous appartient individuellement et collectivement de travailler pour améliorer la prise en compte de la santé au travail. D’autant plus que le travail peut être bénéfique pour la santé : il stimule l’activité physique et intellectuelle, apporte un lien social et un revenu financier, éléments nécessaires au bien-être au quotidien. Par ailleurs, trouver du sens au travail peut avoir un impact positif sur la santé des salariés. Ainsi, selon l’Agefiph, « ce n’est donc pas le travail qui est dommageable pour la santé mais bien les conditions dans lesquelles il est pratiqué ». Le travail c’est la santé !

 

> Aller plus loin sur le site de la Fondation Travailler autrement : 3 questions à… Jean-François Naton, membre du CESE, L’usage des technologies au travail : quel impact sur la santé des collaborateurs ?, Mutations du travail post-covid : quid de la santé mentale des cadres ?