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Pourquoi mettre en place une convention collective de branche pour les Groupements d’Employeurs ?

Pierre FADEUILHE est à la fois Maitre de conférences à l’Université de Toulouse et avocat à la Cour rattaché au barreau de Toulouse. Dans cette interview, il plaide pour la conclusion d’une convention collective spécifique aux salariés des groupements d’employeurs. Il en explique les raisons et les enjeux. Les opinions qu’il exprime dans cet article n’engagent pas les institutions pour lesquelles il est amené à travailler.

Le dispositif des groupements d’employeurs a été institué par une loi du 25 juillet 1985. Depuis cette date, il s’est créé des groupements d’employeurs sur tout le territoire national et dans tous les secteurs d’activités. 40 000 à 50 000 salariés y exercent leur activité professionnelle. Comment se fait-il, 37 ans après la création des groupements d’employeurs, qu’il n’existe pas de convention collective spécifique applicable à leurs salariés ?

 

En 1985, le législateur a fait le choix original, d’un côté, de rendre obligatoire l’application d’une convention collective, et de l’autre, d’instituer la règle d’appliquer une convention collective qui n’est pas spécifique aux particularités de ce dispositif de prêt de main d’œuvre. Ce choix, qui pouvait se comprendre à l’occasion de l’adoption de la loi car il favorisait la mise en place rapide des groupements d’employeurs, n’aurait dû présenter qu’un caractère temporaire. Or, 37 ans plus tard, nous en sommes toujours là. Les groupements d’employeurs appliquent des conventions collectives qui ne correspondent pas à la spécificité de leur objet : la mise à disposition de salariés, dans le cadre d’un emploi, le plus souvent, à temps partagé.

 

Pourtant, cette incongruité n’a pas empêché les groupements d’employeurs de se développer ?

 

C’est vrai. Les groupements d’employeurs s’en sont accommodés. Certaines fédérations ont même bâti leur stratégie de développement en s’appuyant sur les branches professionnelles des entreprises qui composent les groupements d’employeurs. Quoi qu’il en soit, cette absence de convention collective spécifique participe au manque de visibilité dont pâtissent les groupements d’employeurs. Ces derniers renvoient l’image d’un dispositif dérogatoire, temporaire, non abouti dans sa réglementation, alors même qu’ils constituent une réponse adaptée aux enjeux actuels de l’emploi.

 

Est-ce que cette situation se rencontre dans les autres dispositifs de prêt de main d’œuvre institués par le législateur ?

 

Non. Qu’il s’agisse du travail temporaire, du portage salarial, des associations intermédiaires, de l’aide à domicile, etc., chacun de ces secteurs d’activités s’est doté de sa propre convention collective et s’est appuyé sur ce texte pour construire son identité. Les groupements d’employeurs constituent une exception en la matière.

 

La négociation d’une convention collective spécifique aux salariés des groupements d’employeurs est un sujet de réflexion au sein des GE depuis un certain nombre d’années. La voie qui a jusqu’alors été privilégiée a été celle d’inciter les branches professionnelles à intégrer les groupements d’employeurs dans leur propre convention collective. C’est la position du législateur qui est retranscrite dans l’article L. 1253-11 du code du travail depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2005-882 du 2 août 2005. C’est aussi la position du conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son rapport rendu en 2018. Quel est votre avis ?

 

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Combien de branches professionnelles se sont saisies de cette opportunité pour intégrer dans leur convention collective les spécificités des salariés mis à disposition d’un ou de plusieurs adhérents ? A ma connaissance, seulement 2 sur les 200 qui existent en France : la convention collective nationale du sport et l’accord national pour les groupements d’employeurs agricoles et ruraux. Et encore ! Lorsque l’on analyse le contenu de ces textes, on s’aperçoit très rapidement qu’ils ne créent pas de normes. Ils se contentent de reprendre les dispositions contenues dans le code du travail. Ils ne répondent pas à l’ambition d’un véritable texte conventionnel qui prend en compte les spécificités de la mise à disposition dans le cadre d’un groupement d’employeurs.

 

Comment expliquez-vous que les branches professionnelles ne se soient pas saisies de la problématique des salariés mis à disposition par un groupement d’employeurs ?

 

Pourquoi voudriez-vous que les partenaires sociaux rattachés à une branche professionnelle négocient le sort des salariés mis à disposition par un groupement d’employeurs ? Cela ne relève pas de leur champ de compétence, d’autant plus si le groupement d’employeurs accueille des entreprises qui relèvent de différentes branches. Le groupement d’employeurs est un prestataire de services. Ses salariés sont mis à disposition des adhérents mais restent juridiquement rattachés au groupement. Existe-t-il dans les conventions collectives de branche des dispositions relatives aux salariés mis à disposition par une entreprise de travail temporaire, une entreprise de travail à temps partagé ou une association intermédiaire ?

Bien évidemment que non. C’est pourquoi je ne comprends pas que l’on s’obstine à vouloir imposer aux groupements d’employeurs, encore plus s’ils sont multisectoriels, une orientation qui, depuis tant d’années, se révèle être un échec.

 

Une autre voie a été suivie avec l’accord collectif signé en Nouvelle-Aquitaine le 22 novembre 2018. Cet accord s’est penché sur les particularités de la mise à disposition d’un salarié de groupement d’employeurs dans le cadre d’un emploi à temps partagé. Quel est votre sentiment sur cet accord ?

 

C’est assurément une excellente initiative. C’est la première fois que les partenaires sociaux ont négocié le statut des salariés mis à disposition par un groupement d’employeurs, que ce dernier soit mono ou multisectoriel. De plus, le contenu de cet accord collectif est réellement novateur. Mais il contient en son sein ses propres limites. Cet accord n’a tout d’abord qu’une portée régionale, même si des groupements de toute la France peuvent y adhérer dans la mesure où il est d’application volontaire. Enfin, il n’a pas vocation à se substituer aux accords de branche existants car il les complète. A mon sens, cet accord ne constitue qu’une première étape et non une fin en soi.

 

Qu’apporterait selon vous une convention collective de branche spécifique aux salariés embauchés par un groupement d’employeurs ?

 

Pour vous indiquer le fond de ma pensée, le simple fait de se poser la question illustre le manque de reconnaissance qui est accordé aux groupements d’employeurs. C’est un dispositif qui, depuis des années, a fait ses preuves en termes de création et de pérennisation d’emplois. Chaque jour, les quelques 6 000 groupements d’employeurs français contribuent à conclure des CDI à temps partagé et/ou à former des salariés. Les groupements d’employeurs sont les seuls employeurs en France à compter autant de salariés appliquant des conventions collectives qui ne relèvent pas de leur secteur activité. Pourquoi ne pas leur accorder ce que tous les autres dispositifs de prêt de main d’œuvre ont déjà obtenu ?

 

Cette voie n’est, semble-t-il, toutefois pas partagée par toutes les structures qui fédèrent les groupements d’employeurs ?

 

Je suis toujours étonné d’entendre des directeurs et directrices de groupements d’employeurs se plaindre du manque de visibilité de leur dispositif eu égard à ses potentialités et indiquer, dans la même conversation, leur désaccord quant à l’existence d’une convention collective. En France, la conclusion d’une convention collective est une étape décisive dans la reconnaissance institutionnelle d’un dispositif. Tous les autres dispositifs de prêt de main d’œuvre l’ont compris. Tant que les membres des groupements d’employeurs ne s’engageront pas dans la même direction, ils prennent le risque que le dispositif sur lequel ils sont assis continue à occuper une place secondaire dans le paysage du prêt de main d’œuvre, quitte un jour à être fusionné avec un autre dispositif.

 

Si l’on se place du point de vue des salariés mis à disposition, qu’est-ce qu’une convention collective propre aux groupements d’employeurs apporterait ?

 

Le premier changement notable serait que l’on ne rencontrerait plus l’exemple suivant : un salarié embauché par un groupement d’employeurs régi par la convention collective des fleuristes et mis à disposition d’un adhérent qui relève de la convention collective du bâtiment et d’un autre qui relève de la convention collective du sport. Comment voulez-vous qu’un dispositif soit attractif lorsqu’il génère ce type d’incohérence ? Tant que cette situation pourra perdurer, elle témoignera du fait que les groupements d’employeurs constituent un édifice qui reste construit sur des fondations fragiles.

Ensuite, au-delà du fait que l’existence d’un tel texte simplifierait le processus de création de tout nouveau groupement d’employeurs, il contiendrait aussi des règles adaptées à la multi mise à disposition, notamment en matière d’aménagement du temps de travail. Enfin, une convention collective serait de nature à encadrer la mobilité géographique et à valoriser la polyvalence et la polycompétence du salarié mis à disposition.

 

A vous entendre, la conclusion d’une convention collective serait LA solution pour favoriser le développement des groupements d’employeurs. N’y a-t-il pas d’autres obstacles juridiques qui handicapent son fonctionnement ?

 

L’entrée en vigueur d’une convention collective, dès lors que ce document prendrait en considération l’ensemble des problématiques des groupements d’employeurs, serait, à coup sûr, une consécration pour les personnes qui contribuent depuis des années à leur développement. Mais cette évolution doit également s’accompagner de l’écriture et de la réécriture d’un certain nombre d’articles du code du travail pour en faire un dispositif attractif et sécurisé. C’est une réforme globale dont les groupements d’employeurs ont besoin. Si les groupements d’employeurs ont l’ambition d’apporter, encore plus, leur pierre à leur édifice de la sécurisation des parcours professionnels, ils doivent appliquer des règles qui sont adaptées à leur mode de fonctionnement. L’immobilisme actuel ne s’inscrit pas dans cette ambition.

 

> Pour aller plus loin, sur le site de la Fondation Travailler autrement : Le portage salarial a désormais sa convention collective et la justice au XXIème siècle : modèle social accessible ou fabuleux ?