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3 questions à… Marie Eloy, présidente de Bouge ta Boite, et Bénédicte Sanson, co-fondatrice du Moovjee

Marie Eloy est une entrepreneure qui a fondé et préside depuis 10 ans plusieurs organisations pour promouvoir la place des femmes dans l’économie, dont Bouge ta Boîte. Engagée dans l’accompagnement entrepreneurial des jeunes, Bénédicte Sanson est notamment la co-fondatrice et déléguée générale du Moojvee. Toutes les deux ont répondu aux 3 questions de la Fondation Travailler autrement sur l’entrepreneuriat.

1 – En considérant les profils variés que vous avez rencontrés depuis la création de Bouge ta boite et du Moovjee, pensez-vous que l’entrepreneuriat est accessible à tous indépendamment de la formation initiale ou de l’expérience antérieure à la création d’entreprise ?

Bénédicte Sanson (BS) : Incontestablement, l’entrepreneuriat se démocratise ! Nous le voyons aussi dans les statistiques de nos programmes. Alors que dans nos premières années c’était une option de vie professionnelle qui semblait réservée aux bacs + 5 sortants de grandes écoles, aujourd’hui, le plus haut niveau de diplôme d’1/3 des jeunes que nous accompagnons est un bac +2 et près de 20% ont simplement un bac en poche. Ils entreprennent également de plus en plus jeunes, sans même attendre d’avoir une première expérience professionnelle (50% des candidats au Prix Moovjee sont étudiants). Et, autre bonne nouvelle, les jeunes femmes se lancent également davantage : elles représentent 49% des jeunes que nous accompagnons.

Marie Eloy (ME) : Oui et la meilleure preuve est que l’entrepreneuriat porté par les femmes est essentiellement un entrepreneuriat de reconversion, autour de la quarantaine. La grande majorité des dirigeantes d’entreprise, indépendantes, professions libérales, artisanes, commerçantes… ont eu une vie salariée avant et sont très souvent devenues entrepreneures par recherche de sens, pour être alignées avec leurs valeurs et le souhait d’être utiles. 44% d’entre elles ont plus de dix ans d’expérience professionnelle avant d’entreprendre contre 25% des hommes. Cette expérience passée leur permet d’avoir une richesse d’expertises forte et surtout de savoir ce qu’elles veulent et ne veulent plus désormais.

BS : Par ailleurs, même si ces chiffres sont encourageants, nous constatons toujours de vraies différences dans les façons d’aborder l’entrepreneuriat. Par exemple, les jeunes femmes continuent, en moyenne, à être beaucoup moins ambitieuses que leurs homologues masculins, même quand elles ont un bagage (formation et/ou expérience) équivalent voire supérieur à eux. Celles qui osent vraiment, en revanche, ne voient pas où est le « problème » et ne sont pas toujours enclines à témoigner sur leur ressenti de « femme entrepreneure ».  Côté des moins diplômés, nous ressentons également un « complexe » de reconnaissance. Ils se craignent moins innovants, moins équipés pour faire face aux questions de gestion de l’entreprise, moins légitimes dans l’écosystème entrepreneurial alors que nous constatons que leur pragmatisme et leur compréhension des enjeux, en particulier sociaux et environnementaux, apportent une véritable valeur ajoutée dans une société qui se complexifie et crée de plus en plus d’isolement et de gaspillage. Notre rôle, avec le mentorat, est vraiment de plus en plus d’asseoir leur confiance en eux pour qu’ils osent l’ambition tout en apprenant à s’entourer techniquement et personnellement pour porter leurs idées à terme. Reste encore deux difficultés majeures : la première est de permettre aux jeunes ayant le moins de ressources financières dans leur environnement familial de financer les premières années de leur projet entrepreneurial, la deuxième est de créer un lien de confiance entre l’écosystème d’accompagnement à la création d’entreprise et les jeunes ayant le moins d’opportunités.

ME : Entreprendre est donc accessible à toutes et tous, à tous âges, sans passer par la case école de commerce, à condition d’avoir un minimum de bases sur comment être rentable, prospecter et avoir du réseau. Ce n’est pas toujours compris dès le début ni mis en place et c’est pourtant indispensable pour en vivre et ne pas transformer cette fantastique aventure en cauchemar.

 

2 – Constatez-vous une augmentation de la volonté d’entreprendre en France depuis 10 ans ? Si oui, est-ce lié à la levée progressive des obstacles à l’entrepreneuriat pour certains groupes, notamment les femmes et les jeunes ?

ME : C’est d’abord lié à un changement de mentalité sur l’entrepreneuriat. Bpifrance et les médias ont réalisé un énorme travail pour démocratiser l’entrepreneuriat et lui donner ses lettres de noblesse, ce qui explique qu’un Français sur quatre ait envie de créer son entreprise.

BS : En effet, la volonté d’entreprendre en France, et le passage à l’acte, n’ont jamais été aussi hauts, malgré le contexte économique difficile. D’après le baromètre Opinion Way, Moovjee et CIC paru en mai 2023, 41% des jeunes envisagent de créer ou reprendre une entreprise et 74% d’entre eux imaginent le faire pendant leurs études ou dans les 4 ans qui suivent. Et ce avec désormais une bonne compréhension des enjeux, des difficultés et la volonté d’avoir de l’impact. Plusieurs paramètres viennent expliquer cet engouement. D’une part la très forte visibilité donnée aux success stories entrepreneuriales et la multiplication des opportunités offertes aux entrepreneurs au-travers d’émissions, de podcasts, de publicités… D’autre part, un effort de sensibilisation très fort est fait depuis plusieurs années pour faire connaitre les atouts de ce parcours professionnel de plus en plus tôt auprès des jeunes générations et au-travers de multiples opérations itinérantes allant à la rencontre des publics jusque sur leur lieu d’habitation ou de vacances (BIG Tour et Tournée entrepreneuriat pour tous de BPI France par exemple). Sans compter la volonté politique, conséquence positive de la start-up nation mais surtout du plan de relance et de l’opération 1 Jeune 1 Mentor, permettant aux jeunes d’avoir une vision plus large de leur avenir professionnel.

ME : Il y a certes une volonté de davantage d’équité dans l’entrepreneuriat que ce soit dans les QPV, chez les jeunes, les seniors… Mais pour les femmes, les chiffres progressent peu. On stagne à un tiers de dirigeantes et quand on regarde les entreprises avec uniquement des femmes à la tête, nous restons à 21% contre plus de 60% des entreprises avec des hommes uniquement à la direction. De plus, la France possède l’un des taux d’entrepreneures parmi les plus bas de l’OCDE avec 3,4% de femmes actives qui sont entrepreneures à comparer avec le Canada (13%) ou le Royaume Uni (6%). Non seulement l’entrepreneuriat féminin reste faible mais il est aussi précaire : 67% des dirigeantes – dont c’est l’activité principale- gagnent moins de 1500€ par mois. Pourtant, on sait ce qu’il faudrait faire pour réduire les inégalités et bénéficier de l’ensemble des forces vives dans l’entrepreneuriat : les dirigeantes sont très isolées et réseautent moins de façon formelle ou informelle que les hommes. Or, c’est dans les réseaux qu’elles vont connaître les aides, les prêts, qu’elles vont être accompagnées pour réaliser un business plan, affiner leur stratégie, être recommandées, mises en relation, qu’elles vont développer leurs compétences, leur posture d’entrepreneure. L’enjeu est donc de les sortir de l’isolement et de les accompagner tout au long de la vie de l’entreprise. Les réseaux féminins sont une garantie contre la précarité puisqu’il est toujours plus facile de se transformer en s’identifiant et en travaillant avec des pairs. Ils sont aussi une très bonne porte d’entrée vers tous les autres réseaux dont les réseaux d’accompagnement, indispensables pour se lancer. Soutenir financièrement les réseaux féminins pour réduire les écarts et les inégalités serait clé. Le soutien existant n’est malheureusement aujourd’hui pas à la hauteur des enjeux.

 

3 – Face aux transformations rapides du monde du travail, comment envisagez-vous l’évolution du rôle de l’entrepreneur dans les prochaines années, et quelles compétences pensez-vous qu’il devra développer pour prospérer dans ce nouvel environnement ? 

BS : L’entrepreneur de demain devra être avant tout un excellent manager, qui a conscience qu’il ne peut pas tout maitriser et doit être bien accompagné. Comme nous le vivons depuis quelques années maintenant, il sera en permanence confronté à des crises et doit être en capacité de piloter son entreprise avec une grande agilité. Cela nécessite d’avoir une vision bien ancrée sur une valeur ajoutée et des convictions fortes lui permettant de s’appuyer sur ses assets pour transformer son offre rapidement. Cette vision doit impérativement tenir compte des grands enjeux sociétaux, environnementaux et sociaux qui sont de plus en plus au cœur des préoccupations des collaborateurs.

ME : Concernant les compétences, l’entrepreneur a déjà l’habitude d’être un couteau suisse. Il devra renforcer, pour se différencier, ses compétences numériques, notamment sur l’IA, et sa RSE, pas forcément via des labels qui sont chronophages mais avec une éthique et une responsabilité affichées.

BS : L’évolution rapide de la société est un enjeu majeur que l’entreprise ne peut qu’intégrer pour permettre à ses équipes d’évoluer dans un environnement sécurisé pour chacun. La notion de mixité/diversité est centrale dans toutes ses dimensions et particulièrement culturelles et générationnelles, tenant compte d’enjeux personnels très disparates mais centraux pour les collaborateurs. L’entreprise étendue est une réalité de plus en plus présente, les modes de collaboration avec les équipes sont multiples. Animer une équipe nécessite de s’ouvrir à de nouveaux outils, la solitude du collaborateur (et son désengagement) étant un écueil majeur. L’équation devient complexe : briser la solitude du salarié sans brider son besoin de liberté, vivre ensemble… mais à distance ! Mentorat et tutorat paraissent ici encore une réponse potentielle à approfondir. Enfin, l’intégration massive du télétravail accentue la distorsion entre les emplois qualifiés (permettant souvent une grande souplesse) et les moins qualifiés, appelés pudiquement « les invisibles », nous obligeant à repenser la notion d’équité et d’équilibre en profondeur dans nos organisations.

ME : En effet, dans l’entrepreneuriat, les jeunes comme les femmes veulent de l’humain, du collaboratif, de l’éthique, de l’horizontal et souvent travailler en local avec un réseau de partenaires de confiance. En dehors des startups, la croissance à tout prix n’a pas forcément d’intérêt pour eux. Ce qui compte c’est le sens, les valeurs, l’utilité, l’impact.

 

Marie Eloy a lancé Femmes des Territoires, un réseau pour créer son entreprise (2500 adhérentes dans 70 villes), Bouge ta Boite, un réseau business pour développer son entreprise et son impact (1900 adhérentes dans 150 villes), et Bouge ton Groupe qui propose des solutions pour accélérer l’égalité professionnelle dans les entreprises et les administrations, en France et à l’étranger (92% changent de posture). Marie est également l’autrice d’une chronique mensuelle dans Les Echos et animatrice du Podcast des Echos « Elles ont osé ». Elle est aussi membre du Mouvement Impact France et du comité « Gouvernance » du MEDEF.

Bénédicte Sanson démarre sa vie professionnelle dans le salariat en marketing/communication. Entrepreneure depuis 2001, elle connait les hauts et les bas de l’entrepreneuriat. Elle liquide sa société en 2008 avec le regret de ne pas avoir trouvé un accompagnement adapté. C’est là qu’elle découvre le mentorat pour entrepreneurs via Dominique Restino. Ensemble, ils lancent, en 2009, le Moovjee puis Rezoo en 2014, sur la base de convictions partagées et de valeurs communes telles que la confiance, l’audace, la citoyenneté, le partage, la responsabilité. En 2024, elle porte et lance Woork, mentorat pour les jeunes salariés dans leur 1er emploi dans le cadre d’un Contrat à Impact Social.

 

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