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Un futur souhaitable pour l’économie de plateformes ?

Dans leur ouvrage « Désubériser, reprendre le contrôle », Florian Forestier, Franck Bonot, Odile Chagny et Mathias Dufour dressent un panorama complet et nuancé des enjeux de l’économie de plateformes, des problèmes qu’elle pose, et des solutions qu’on pourrait imaginer.

L’ouvrage, en trois parties, a la grande qualité de présenter de manière claire, nuancée et réaliste les enjeux de son sujet puis de faire le lien entre des dimensions souvent traitées de manière disjointe. Cette démarche novatrice permet de proposer des solutions réalistes aux problèmes et enjeux portés par le capitalisme de plateforme, sans pour autant tomber dans un discours alarmiste ou abolitionniste.

La première partie du livre explique de manière synthétique, didactique et pourtant particulièrement exhaustive ce qu’est l’économie de plateforme. Elle présente les enjeux de l’ensemble des parties prenantes (plateformes, usagers, travailleurs, pouvoirs-publics, investisseurs…), montrant ainsi les liens entre modèles de capital et conséquences sociales, entre modèle d’affaire et organisation du travail. Ce panorama introductif est particulièrement nuancé. Sans concession sur les difficultés sociales causées par la généralisation des plateformes, il rappelle aussi que c’est une source d’accès à l’emploi pour des populations qui en sont traditionnellement privées, et d’amélioration du service disponible pour les clients et usagers. Toutefois, la partie se conclut avant tout sur la mise en exergue des risques sociaux et sociétaux que font courir ces modèles.

La seconde partie, qui porte le titre de l’ouvrage (“désubériser, reprendre le contrôle”), dresse la liste des possibilités de limitations des conséquences négatives de ces plateformes. L’angle juridique et politique a la qualité d’être complet et réaliste, en insistant aussi sur les dimensions internationales du phénomène. Les pistes proposées devraient être dans l’agenda des pouvoirs publics (elles le sont dans d’autres pays) et montrent bien la frilosité des gouvernants actuels sur ces questions en France. Dans cette partie, les auteurs commencent aussi à tisser des liens avec des dimensions a priori éloignées : les villes intelligentes et autres objets connectés ; et la question de données.

Enfin, une troisième partie propose de manière plus prospective des directions souhaitables pour l’économie de plateforme. Elle développe notamment les enjeux de collectifs et l’importance que pourraient avoir les coopératives, comme alternatives à une approche capitaliste délétère. Elle insiste aussi sur un enjeu juridique important : la possibilité pour les travailleurs de plateforme de se rassembler ou de s’unir au sein d’organisations de représentations collectives ; et symétriquement la nécessité de fixer dans la loi des modalités de dialogue social spécifiques aux plateformes et aujourd’hui structurellement inexistantes. Enfin, la partie développe longuement les nécessités d’ouvertures d’accès aux données et d’ancrage local, par les pouvoirs publics territoriaux, des solutions à ces problèmes.

Court et percutant, ce livre est donc utile tant pour découvrir le sujet, ou du moins aller au-delà de son bruit médiatique, que pour approfondir ses enjeux et les solutions possibles pour y répondre.

Les auteurs

Florian Forestier, directeur de l’ouvrage, est philosophe de formation et conservateur à la BNF, et travaille depuis plusieurs années sur les nouvelles formes d’emploi et la transition numérique.

Franck Bonot est l’un des pionniers du dialogue social dans le secteur des VTC puisqu’il a participé dès 2015 à la création du premier syndicat de chauffeurs (le SCP-VTC). Cela l’a amené à être au premier plan des négociations avec les plateformes et les pouvoirs publics. Avec Odile Chagny, il co-anime le réseau Sharers and Workers.

Odile Chagny est économiste de formation. Depuis une dizaine d’année, elle travaille au service des acteurs syndicaux et des représentants du personnel. Elle a fondé  et co-anime le réseau Sharers & Workers, une démarche  de connexion d’acteurs autour des enjeux de recomposition du travail liés à la transformation digitale et en particulier l’économie des plateformes.

Mathias Dufour a créé en 2017 le think tank et action lab indépendant #Leplusimportant pour favoriser le développement des capacités et des compétences des classes moyennes et des plus fragilisées, pour relever les défis sociaux de l’économie numérique.

L’extrait

« Désubériser, c’est d’abord contrecarrer les stratégies de dumping, sortir d’un état de sidération pour comprendre que les plateformes ne sont pas uniquement des entreprises technologiques, mais qu’elles interviennent d’abord et avant tout dans des secteurs bien identifiés. C’est accompagner les stratégies déployées par certains acteurs pour combiner les performances économiques, technologiques et sociales, et évoluer vers des activités à plus forte valeur ajoutée. C’est aussi, au-delà des questions de statut, garantir aux travailleurs des plateformes un socle de droits sociaux plus protecteurs, adaptés à la réalité de leur travail et aux contraintes spécifiques auxquelles ils font face. 

C’est enfin, avec le développement des formes coopératives, l’essor des communs, la transition numérique des territoires, mais aussi l’exploitation des nouveaux standards technologiques, préparer le passage à l’échelle des plateformes de demain. »

> Pour aller plus loin : le site de l’éditeur.

> Également à lire sur le site de la Fondation Travailler autrement : Automatisation, digitalisation et plateformes, Une circulaire précise la responsabilité sociale des plateformes, Nouvelles données sur les travailleurs de plateforme en Europe