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Entre école et monde du travail : quelle place pour les jeunes diplômés ?

Longtemps, la maxime “travaille bien à l’école, tu auras un bon métier” a véhiculé l’idée que l’effort scolaire serait naturellement récompensé par une insertion professionnelle stable et réussie. Mais dans un contexte de tensions économiques, mais aussi de stéréotypes négatifs qui persistent sur les jeunes et qui freinent les recrutements, cette promesse paraît aujourd’hui fragilisée, voire déconnectée de la réalité vécue. Les initiatives et dispositifs pour mieux accompagner ces jeunes talents existent pourtant et doivent perdurer, pour faire du passage à la vie professionnelle une étape plus juste et mieux anticipée.

Un diplôme qui ne protège plus assez ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le taux de chômage des jeunes actifs reste structurellement élevé, avec un taux deux à trois fois supérieur à celui de l’ensemble de la population. Et avec un jeune diplômé du supérieur sur trois qui n’a d’autre choix que d’occuper un poste sous-qualifié, le diplôme ne garantit plus automatiquement l’accès à un emploi de niveau équivalent. La question de la disponibilité des offres d’emplois est par ailleurs centrale et elle est directement liée à la conjoncture actuelle : ralentissement de la croissance économique, contexte international anxiogène… Le futur désormais incertain entraîne une prudence budgétaire des employeurs qui revoient alors à la baisse leurs perspectives de recrutement, en particulier pour les profils juniors. La jeunesse se retrouve ainsi en première ligne d’un marché de l’emploi resserré, et ce quel que soit leur parcours.

Le problème est également territorial, puisque le marché du travail reste profondément déséquilibré entre les régions. L’Île-de-France, qui ne représente que 2% du territoire, concentre 28% des emplois et près de 40% des postes de cadres. Le Cereq, dans son étude “Les diplômés de master universitaire ont-ils tous les mêmes débuts de vie active ?” (septembre 2024), va même jusqu’à affirmer qu’y habiter “double les chances de connaître la meilleure insertion”. Cette géographie de l’emploi crée de facto une inégalité d’accès aux opportunités, notamment pour les jeunes originaires de zones rurales et/ou périurbaines. 

Au-delà des chiffres, il y a aussi un sentiment de décalage croissant entre l’école et la réalité de l’emploi. Nombre de jeunes découvrent un monde du travail régi par des logiques tacites :  réseau, capacité à se vendre, multiplicité des expériences préalables… Ce décalage est d’autant plus difficile à surmonter pour les jeunes issus de filières générales à l’université, et par exemple en sciences humaines et sociales (SHS), qui, malgré l’honorabilité du parcours, n’offrent pas toujours de passerelles concrètes vers le monde professionnel, du fait d’un vrai manque de préparation à cette traduction des savoirs en compétences opérationnelles en entreprise. C’était du moins ce que regrettaient 80% des chefs d’entreprises interrogés en 2021 dans le sondage OpinionWay “Les décideurs et leur rapport à l’Université”. Ce fossé entre les normes académiques et les attentes des employeurs laisse une part croissante de diplômés dans l’incertitude et la difficulté à comprendre ce que signifie réellement être “employable”.

Une mobilisation encourageante mais insuffisante

Des réponses institutionnelles ont pourtant été apportées pour faciliter la transition entre études et emploi. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, plusieurs dispositifs ont visé à mieux armer les jeunes pour leur entrée sur le marché du travail, comme la réforme du baccalauréat et la généralisation de l’apprentissage (2018), ou encore le dispositif “1 jeune 1 solution”, mis en place lors de la crise du Covid19, qui vise à aider tous les jeunes de 15 à 30 ans qui rencontreraient des difficultés à l’insertion professionnelle, que ce soit en termes de formation, de logement, de mobilité… Ces mesures ont notamment permis de renforcer l’accès à des dispositifs de pré-insertion : stages, immersions professionnelles, contrats d’apprentissages… qui jouent un vrai rôle dans la découverte des réalités du travail, et qui peuvent constituer le premier point de contact entre jeunes et employeurs. En 2023, la France a d’ailleurs franchi le cap historique d’un million d’apprentis, signe d’un climat favorable à une meilleure intégration des jeunes dans le marché du travail, malgré un ralentissement en cours de la dynamique en raison du contexte économique plus difficile et marqué par la réduction des aides publiques. 

Mais cette avancée, si positive soit-elle, ne suffit pas à enrayer les difficultés. Ces dispositifs demeurent inégalement accessibles selon les filières, le niveau d’études ou encore le lieu de résidence. Et même lorsque les jeunes bénéficient de ces premières expériences, les difficultés persistent : sentiment d’illégitimité, stéréotypes sur la GenZ, discriminations à l’embauche ou manque d’opportunités locales viennent entraver l’entrée dans l’emploi concret et durable. Pour certains, la désillusion est telle qu’elle pousse à reprendre une formation quelques mois à peine après la fin des études, dans l’espoir de se rendre “plus employable”. D’autres jeunes diplômés acceptent des emplois sans lien direct avec leur formation, ou pour lesquels ils sont trop qualifiés, dans une logique de “déclassement”. C’est le cas par exemple de diplômés en communication, en marketing ou en gestion, confrontés à un marché saturé, qui s’orientent vers des postes en secrétariat ou en administration, ou encore de diplômés en Histoire occupant des fonctions de médiation ou de surveillance en musée. Ils se disent alors “mais quand est-ce que ma vie va commencer ?”.

Les premières années de vie active sont d’autant plus importantes qu’un début de carrière difficile (emplois précaires, périodes de chômage, voire l’incapacité à exercer un emploi stable plusieurs années après la fin de la formation), au-delà de laisser un souvenir amer, peut laisser des traces durables sur la trajectoire professionnelle future. C’est l’”effet cicatrice”, dont parle le sociologue Camille Peugny dans son article “Les jeunes sont-ils des travailleurs comme les autres ?” (2024).

Repenser l’accompagnement pour des débuts plus justes

Face à ce décalage persistant entre aspirations et réalités, une double action apparaît aujourd’hui indispensable : mieux outiller les jeunes pour comprendre et affronter les dynamiques du marché, et favoriser des pratiques d’insertion plus inclusives.

Cela commence dès l’école. L’orientation peine encore à préparer aux enjeux concrets de l’emploi. L’introduction plus précoce de modules sur les compétences transférables, la généralisation des immersions professionnelles, ou encore l’appui à la valorisation des expériences informelles pourraient renforcer la capacité des jeunes à se projeter dans le monde du travail avec lucidité. Certaines entreprises s’engagent déjà dans cette voie. Air France et Allianz proposent par exemple des “journées offboarding” à leurs alternants en fin de contrat afin de les aider à structurer leur recherche d’emploi et à mieux valoriser leur expérience. Ces journées comprennent des ateliers pratiques : rédaction de CV, apprentissage d’une posture professionnelle, mobilisation du réseau et identification des bons contacts, prise de rendez-vous…

Repenser cet accompagnement suppose aussi et surtout une évolution dans les pratiques de recrutement pour favoriser une insertion professionnelle juste et équitable des jeunes. L’expérience immédiate ne peut être le seul critère de sélection lorsqu’il s’agit de premiers postes. Mieux prendre en compte le potentiel, la diversité des profils et des parcours, qu’ils soient atypiques ou non, pourrait continuer à améliorer la situation. Les entreprises ont tout à y gagner : un jeune qui accède à un poste en adéquation avec ses compétences et ses ambitions sera plus engagé, plus formé, et plus en capacité de monter en responsabilité. À l’inverse, cantonner des diplômés à des postes sous-qualifiés, faute d’ouverture ou de flexibilité dans les recrutements, c’est prendre le risque d’un turnover rapide, d’une démotivation, voire d’un désengagement durable. Comme le souligne Olivier Redoulès, directeur des études chez Rexecode, l’existence même de jeunes qualifiés sans emploi montre qu’il reste des ressources inexploitées dans notre économie. Pour lui, ce paradoxe révèle aussi une opportunité : “Cela montre qu’il y a encore de l’argent à dégager pour financer notre modèle social. Sans cela, il faudrait faire une croix dessus”.

Plutôt que de renvoyer aux seuls jeunes la responsabilité de s’adapter, c’est peut-être ainsi à l’ensemble des acteurs (pouvoirs publics, entreprises, acteurs de la formation) de mieux accompagner ces premières étapes, encore trop fragiles et incertaines. Car derrière les parcours individuels, c’est un enjeu collectif qui se joue : celui d’un accès plus fluide, plus lisible et plus équitable au monde du travail pour tous, qui que l’on soit.

> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Derrière l’expression « la jeunesse », une pluralité de rapports au travail, 3 questions à Olivier Galland, sociologue