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3 questions à… Éric Heyer, Directeur du département Analyse et Prévision à l’OFCE

Docteur en sciences économiques et spécialiste du marché du travail, Éric Heyer réalise de nombreuses prévisions conjoncturelles et modélisations, notamment dans le cadre de publications de l’OFCE, Observatoire français des conjonctures économiques, où il est Directeur du département Analyse et Prévision depuis 2015. Il dirige chaque année avec l’OFCE L’Économie française de cette année aux éditions La Découverte. Il est également enseignant à Sciences Po Paris, à l’Université de la Méditerranée et à l’université d’Aix-Marseille.

Il répond aux trois questions de la Fondation Travailler autrement sur la semaine de quatre jours.

Alors que certains secteurs pâtissent d’un manque d’attractivité, d’une pénurie de main d’œuvre ou encore d’un fort taux d’absentéisme, pensez-vous que le passage à la semaine de quatre jours pourrait constituer un levier d’action pertinent ?

C’est évident, en particulier pour les travailleurs essentiels, applaudis pendant la crise sanitaire, reconnus par le président de la République, dont l’utilité sociale est incontestable, mais pour qui la rémunération demeure insuffisante. Alors que, post-Covid, les efforts menés sur l’amélioration des conditions de travail se sont principalement concentrés sur les cadres et les travailleurs de bureau, la semaine de 4 jours pourrait servir de contrepartie en répondant aux besoins de ceux qui n’ont pas accès au télétravail. En revanche, pour cette catégorie de la population, la semaine de 4 jours sous la forme d’une réduction du temps de travail ne pourrait pas s’accompagner d’une baisse de rémunération. Il faudrait regarder comment assurer une rentabilité dans ce cas.

La semaine de quatre jours présente donc un avantage conséquent puisque bien mise en place, elle peut être synonyme de mieux-être au travail, d’engagement et de motivation, d’un meilleur équilibre vie professionnelle / vie personnelle, tout ceci permettant une baisse de l’absentéisme. Car en 4 jours de travail on est plus concentré, moins fatigué et moins parasité par les facteurs extérieurs et privés. Cela dégage un jour pour s’occuper de sa vie privée (rendez-vous chez le médecin, accompagnement des enfants ou de personnes âgées, bénévolat…). La semaine de quatre jours peut également jouer un rôle clé dans l’amélioration de l’épanouissement au travail en France, mal positionnée dans les comparaisons internationales, et ainsi faciliter le recrutement en répondant aux attentes des travailleurs sur la pénibilité et les conditions de travail.

Ce peut donc être une piste intéressante de fidélisation et d’attraction des collaborateurs en fonction des cycles de vie individuelle, par exemple pour les jeunes parents, les aidants, les seniors en fin de carrière, etc.

Semaine à 32h, semaine à 35h, maintien ou réduction du salaire… D’après vous, quelle est la modalité d’application de la semaine de quatre jours qui constitue le meilleur compromis entre amélioration de l’équilibre vie professionnelle – vie personnelle, maintien du niveau de vie, bien-être au travail et gain de productivité ?

Il est primordial de distinguer la semaine de 4 jours de la semaine en 4 jours.

La semaine en 4 jours, c’est-à-dire non pas une réduction mais une compression du temps de travail, nécessite une contraction sur peu de temps de l’intégralité de la mission de travail. Cela impacte évidemment la vie de famille, mais aussi l’accessibilité au travail (en termes de transports), et la productivité de façon négative : les dernières heures de la journée sont beaucoup moins productives car la fatigue s’installe. Ainsi, en comptant les 9h de travail par jour, le temps de trajet et la pause du midi, un salarié peut passer jusqu’à 12 heures en dehors du domicile. Ce n’est donc pas un souhait des collaborateurs, et ce n’est pas bénéfique pour l’entreprise. De fait, ceux qui l’ont tenté ont déploré une concentration trop difficile notamment en fin de journée, et donc une productivité horaire en baisse.

Concentrons-nous donc sur la semaine de 4 jours (par exemple travailler 32h au lieu de 35h), mais cela ne pourra se faire qu’avec une volonté des collaborateurs, et ce ne serait envisageable sans maintien du salaire, d’autant plus avec la conjoncture économique actuelle. Cela aura un coût important pour l’entreprise. Dans ces conditions, les salariés vont devoir redoubler d’efforts pour se concentrer uniquement sur le travail, et de souplesse pour s’adapter à cette nouvelle organisation, comme l’adoption d’horaires atypiques, la baisse des pauses et l’optimisation du travail.

Bien que la réduction du temps de travail puisse susciter des préoccupations quant à la rentabilité, des exemples tels que l’expérience menée au Royaume-Uni montrent que cela peut représenter un investissement neutre, voire bénéfique : une augmentation de la motivation et une baisse de l’absentéisme entraineront une plus grande productivité et donc potentiellement une augmentation des gains. Ainsi, chez nos voisins britanniques, une soixantaine d’entreprises se sont prêtées au jeu entre juin et décembre 2022 : les salariés travaillaient 20% d’heures en moins mais conservaient 100% de leur paie et les mêmes objectifs de travail. L’entreprise Tyler Grange témoigne qu’il a fallu quelques mois pour s’adapter, mais la productivité a fini par augmenter de 3 à 6%. En moyenne, les entreprises participantes ont augmenté leur chiffre d’affaires de 1,4%. Au final, 92% des entreprises ont décidé de poursuivre l’expérimentation. Ce n’est peut-être pas une nette amélioration, mais ce n’est certainement pas une perte de gains !

Peut-on vraiment compter sur le dialogue social pour mettre en place la semaine de quatre jours dans les entreprises qui le plébiscitent ou serait-il préférable qu’une loi vienne harmoniser les pratiques ?

Je ne suis pas persuadé qu’une intervention législative soit la bonne solution. Parce que chaque entreprise a ses propres spécificités, il semblerait plus judicieux d’initier des expérimentations pour évaluer, dans chaque organisme, la volonté et la faisabilité du projet.

Si l’expérimentation porte ses fruits, le passage permanent à la semaine de quatre jours ne peut se faire sans un dialogue social renforcé, qui implique toutes les parties prenantes de l’entreprise : les dirigeants, les salariés, les représentants syndicaux et les managers. C’est d’ailleurs sur les épaules de ces derniers que retombera la réorganisation du travail et la réinvention des temps collectifs, il est donc primordial de les impliquer et de s’assurer de leur volontariat pour ce changement. D’autant plus dans les entreprises où plusieurs organisations de travail (semaine de quatre jours, télétravail, un mix des deux) cohabiteront.

Tout le monde doit embarquer pour que le projet puisse se faire. Nous n’allons pas imposer une loi, il incombe donc aux entreprises d’envisager, lorsque cela est possible (ce sera plus facile dans les grandes entreprises avec beaucoup de capital) et voulu, cette possible organisation pour améliorer les conditions de travail des salariés. Cela va d’ailleurs devenir un enjeu d’attractivité, pour se démarquer de la concurrence. La semaine de 4 jours représente le pari audacieux de montrer que, sans forcément augmenter les salaires, on peut être innovants sur les façons de travailler pour améliorer à la fois les conditions de travail, la productivité et le bien-être des travailleurs.

> Aller plus loin sur le site de la Fondation Travailler autrement :  « Semaine de 4 jours : le temps du monde d’après », La semaine de quatre jours : un modèle gagnant-gagnant ?, La semaine de 4 jours : oui, mais pas n’importe comment !, Comment ont évolué les rythmes de travail en 2020 ?