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« Semaine de 4 jours : le temps du monde d’après »

L’Institut Rousseau a publié le 2 mai 2023 la note “Semaine de quatre jours : le temps du monde d’après” co-écrite par Charles Adrianssens, co-fondateur du média ‘Une idée pour espérer’, et Paul Montjotin, enseignant en questions sociales. Pour les auteurs, l’idée d’une réduction ou d’un réaménagement du temps de travail s’inscrit à la fois dans le cadre d’une aspiration collective nouvelle à travailler autrement, mais aussi à rééquilibrer la place que prend le travail dans nos vies.

Quel contexte ?

Cette note part d’un constat : la crise profonde qui traverse le monde du travail, exprimée lors du mouvement des “Gilets jaunes” puis à l’occasion de la crise du Covid, et enfin exarcerbée par la mobilisation contre la réforme des retraites. Cette réforme a non seulement ravivé la question de l’emploi et de l’après vie professionnelle, mais aussi celle du travail et de la place qu’il occupe dans la vie au quotidien. C’est à cet égard qu’en signe de compréhension à l’attention du mouvement social, le gouvernement a investi le registre nouveau qu’est celui du réaménagement de la place du travail dans la vie, en initiant l’expérimentation de la semaine de quatre jours à l’Urssaf Picardie. Si les médias et les sondages abondent sur le sujet, la semaine de quatre jours reste très marginale en France. Ainsi, cette note fait l’état des lieux et formule des propositions de mise en œuvre de cette potentielle innovation sociale.

Quels principes clés ?

Dans cette note, les auteurs prennent le parti pris d’une mise en œuvre de la semaine de quatre jours sans baisse de salaire pour les salariés. Les entreprises doivent prendre des engagements pour en garantir le respect afin de bénéficier d’une aide publique et le dialogue social doit être central dans le choix de la bonne organisation à adopter. Enfin, ils considèrent que la démarche proposée s’inscrit dans un principe d’expérimentation qui donnera lieu à une évaluation des externalités.

Quel parti pris ?

Cette note n’a pas pour vocation de trancher entre réduction et réaménagement du temps de travail mais entend démontrer que la semaine de quatre jours, au regard de ses bénéfices sociaux et écologiques, constitue une proposition qui arrive en France à maturité dans les entreprises, le monde du travail et la société dans son ensemble.

La semaine de quatre jours : une aspiration post-Covid dans la continuité d’une tradition française à la conquête de la réduction du temps de travail ? 

Pour les auteurs, la semaine de quatre jours s’ancre dans l’histoire de la réduction du temps de travail. Cette dynamique a été impulsée dès le XIXe siècle en France et en Europe pour protéger les travailleurs des conditions difficiles de l’industrialisation. Des lois successives ont encadré le temps de travail, pour arriver aux 35 heures en 1998. Depuis, l’idée de la semaine de 32 heures fait son chemin, portée par diverses motivations telles que la lutte contre le changement climatique ou l’amélioration du bien-être au travail. Des personnalités comme Pierre Larrouturou en font la promotion depuis les années 1990, tout comme certains dirigeants d’entreprises, syndicats, partis politiques, associations. L’idée centrale est d’envisager les avancées technologiques, notamment l’intelligence artificielle, comme vecteur d’une évolution vers une semaine de travail plus courte, et vers une société où le travail prend de nouvelles formes.

La crise sanitaire a profondément modifié la perception du travail en France : une note de la Fondation Jean Jaurès souligne une baisse significative de l’importance accordée au travail, passant de 60 % à 24 % entre 1990 et 2021. Ainsi, malgré l’accent mis sur la préservation du pouvoir d’achat en période de crise, un sondage indique que 61 % des salariés préféreraient gagner moins pour avoir plus de temps libre. Toutefois, cette évolution est également liée à des facteurs de long terme tels que la dégradation des conditions de travail depuis les années 2000 : des experts comme Dominique Méda et Bruno Palier soulignent une intensification du travail et des pratiques managériales visant à réduire les coûts, au détriment des conditions de travail. 

Ainsi, une étude révèle que 63 % des Français soutiennent la semaine de quatre jours, et qu’elle fait tout particulièrement consensus au sein des catégories populaires. En effet, la pandémie de Covid-19 a mis en lumière les 4,6 millions de travailleurs de la « deuxième ligne », exposés au risque sanitaire mais souvent mal rémunérés malgré leur importance pour la société. Pendant la crise, le télétravail a créé une division entre ceux qui pouvaient travailler de chez eux et ceux contraints de se rendre physiquement sur leur lieu de travail, subissant des dépenses contraintes, notamment liées aux trajets ou aux gardes d’enfants. La généralisation de cette semaine plus courte pourrait être perçue comme une mesure de justice sociale pour ceux dont le travail ne peut être fait à distance. 

Avantages et inconvénients des retours d’expérience en entreprise  

La note présente différentes expériences menées en Europe offrant un aperçu global des impacts de la semaine de quatre jours pour les entreprises. Une grande étude réalisée par 4 Day Week Global auprès de 3000 salariés britanniques a été la plus significative. Les entreprises participantes, variées dans leur taille et leur secteur, ont montré une satisfaction élevée, et cinq principaux bénéfices ont été identifiés :

  • amélioration des conditions de travail
  • bénéfices écologiques
  • productivité accrue
  • développement du lien social
  • amélioration de l’égalité femmes-hommes

La semaine de 4 jours libère également du temps pour les collaborateurs qui aspirent à organiser leur vie, avec d’autres activités (bénévolat, vie de famille, sport, autres engagements, etc).

Toutefois, les auteurs insistent sur les écueils dans lesquels il peut être facile de tomber si la mise en place de la semaine de quatre jours n’est pas suffisamment réfléchie et organisée. En effet, la phase d’expérimentation avec des indicateurs internes peut aider à évaluer l’impact sur le bien-être des équipes, les performances de l’entreprise et la satisfaction des clients. Selon eux, la clé de la réussite, c’est le dialogue social puisqu’il permet d’adapter le modèle à la réalité du terrain. Dès lors, pour une implémentation plus conséquente dans les entreprises en France, il faudra être vigilants sur les points suivants : 

  • la surintensification du travail
  • la désorganisation et le manque de coordination des agendas
  • la garantie du droit à la déconnexion 
  • l’érosion du lien social au sein de l’entreprise

 Etudes de cas en Europe et scénarii possibles en France

Dans les pays qui ont testé la semaine de quatre jours, deux modèles s’imposent : l’un avec réduction du temps de travail, l’autre avec compression du temps de travail.

En France, les accords d’entreprise déterminent désormais la durée du travail, prévalant sur les accords de branche. La durée légale est de 35 heures par semaine mais les entreprises peuvent l’ajuster, en mettant par exemple en place la semaine de quatre jours. Selon les auteurs, l’enjeu principal est d’encourager et soutenir ces transitions par différents moyens : 

  • un dispositif d’aide publique ou d’exonération sociale pour inciter les entreprises, sur le modèle de la loi de Robien de 1996
  • un engagement des entreprises en contrepartie pour garantir l’effectivité du passage à la semaine de quatre jours sans détérioration des conditions de travail
  • une politique d’accompagnement concernant le jour de travail libéré coordonné par un ministère du Temps libéré, inspiré du Front populaire

Citation : “Ayant permis au XXe siècle d’accompagner l’essor de la société des loisirs et de la consommation, la réduction, ou au moins le réaménagement, du temps de travail est nécessaire pour faire émerger au 21e siècle la société de l’engagement et du lien social. En ce sens, cette conquête du temps libre n’est pas seulement celle du temps pour soi, mais aussi du temps pour les autres, pour notre société et pour nos biens communs. Le temps du monde d’après.”

En savoir + : https://institut-rousseau.fr/semaine-de-quatre-jours-le-temps-du-monde-dapres/ , « Semaine de 4 jours : le temps du monde d’après », La semaine de quatre jours : un modèle gagnant-gagnant ?, La semaine de 4 jours : oui, mais pas n’importe comment !