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La formation professionnelle : une réponse aux besoins spécifiques des travailleurs invisibles ?

A l’aube de la refonte du service public de l’emploi et de « France Travail », l’enjeu de la formation professionnelle est central. Investissement dans le capital humain et pilier de la compétitivité économique, la formation traîne toutefois une image peu avantageuse en France. Le sondage « Les actifs français et la formation professionnelle en 2022 » réalisé par BVA en 2022 illustre un léger regain d’intérêt pour le sujet : si les cadres et les plus hauts salaires sont ceux qui recourent le plus à leur droit à la formation, le taux de recours des employés et des salariés a quand même doublé entre 2019 et 2021. Malgré ce bond suscité par la crise, le phénomène reste trop faible et révèle une inadéquation entre le système de formation professionnelle français et les besoins des travailleurs, et notamment des travailleurs “invisibles”.

La formation initiale et le culte du diplôme : un enjeu éducatif

Tout d’abord, la formation initiale fait face à un enjeu culturel majeur : le culte du diplôme. A l’origine, l’idée était d’investir dans le capital humain et de démocratiser l’accès à l’éducation. Cette volonté de garantir l’ascension sociale à tous part d’une bonne intention mais s’est toutefois transformée en un culte du diplôme et un phénomène de masterisation. Le diplôme est devenu survalorisé dans les carrières : s’il sert encore aujourd’hui à favoriser l’insertion professionnelle, il sert aussi d’étendard tout au long de la vie. Or, ce système semble inadapté aux parcours professionnalisants.

37% des jeunes sont en CAP ou en bac professionnel et se destinent à des métiers “invisibles”. Dans ces parcours scolaires, on s’aperçoit que 80% des élèves sont des enfants d’ouvriers, d’employés ou de personnes sans emploi, et 45% des élèves sont issus de l’immigration. Cela révèle la reproduction sociale et surtout l’image que se fait la société de ces parcours et de ces métiers. Il est par conséquent nécessaire de revaloriser l’image de ces filières, même s’il semblerait que certains métiers manuels fassent leur retour en grâce (pâtissier, métiers d’art, menuisier…).

Par ailleurs, il est indispensable d’établir une coopération entre les lycées professionnels et les entreprises dans le cadre de l’alternance, tout en veillant à ne pas survaloriser l’aspect professionnalisant aux dépens de l’apprentissage des savoirs fondamentaux qui permettent à chacun de se construire “en citoyen”.

La formation continue et son accessibilité : un enjeu pour les travailleurs invisibles

Pour sa part, la formation continue pâtit d’un enjeu structurel d’accessibilité. Censée accompagner les travailleurs tout au long de leur carrière grâce à un système d’accumulation des droits centralisé sur un compte personnel de formation, elle permet d’insuffler une logique de parcours et de trajectoire dans la vie professionnelle. Toutefois, le parcours usager peut s’avérer compliqué et décourageant : il existe une dizaine de dispositifs de formation et tout autant d’enjeux, de systèmes de gouvernance et de contrôle, les noms sont acronymisés (CPF, CQP, VAE, etc.) et la démarche est bien souvent chronophage. Ceci explique en partie le non recours au droit.

Pour les travailleurs invisibles, encore une fois, le système semble quelque peu inadapté. Aujourd’hui, on estime qu’ils représentent 35 à 47% de la population active, et de nombreux besoins en emploi. En effet, la logique de parcours et de trajectoire, portée par les dispositifs de formation, peut freiner voire repousser les professionnels qui ont acquis l’expérience sur le terrain et qui sont bloqués par un contexte personnel contraint. Ainsi, la doctrine de la formation professionnelle repose sur des piliers quasiment tous en inadéquation avec le parcours des travailleurs invisibles, car ils ne prennent pas en compte les problématiques de mobilité, d’agilité numérique, de temps de vacances ou encore de gardes d’enfants. L’auto-censure est un autre élément expliquant le faible recours au droit de la part des travailleurs invisibles, c’est pourquoi les managers ont leur rôle dans l’incitation de leurs collaborateurs à se former.

La VAE ou comment valoriser les compétences développées par l’expérience

Il peut arriver d’avoir l’expérience d’un métier sans détenir le diplôme corrélé, ou de développer des compétences supplémentaires sur le terrain. La VAE (validation des acquis de l’expérience) permet dans ce sens une reconnaissance de l’expérience accumulée par un travailleur et de la retranscrire dans un diplôme, sans repasser par l’école et ce à n’importe quelle étape de la vie.

S’il s’agit d’une initiative plus adaptée au profil des travailleurs invisibles, le dispositif n’a malheureusement pas l’effet escompté : peu connu, pas assez développé, et démarches souvent décourageantes pour ces personnes qui ont déjà des vies contraintes. Il serait bénéfique de simplifier la VAE, de la moderniser, d’ajouter à la reconnaissance de l’expérience la reconnaissance de l’expertise dans les “gestes métiers” et le “travail bien fait”. En communicant plus largement, davantage d’actifs seront incités à s’en emparer. Pour l’instant, seules les filières du sanitaire et social, de la grande distribution, de l’industrie métallurgique et du sport sont éligibles, mais dès 2024, la VAE devrait être accessible à tous. Cette initiative démontre l’évolution du système de formation professionnelle qui tend à s’adapter aux besoins des différents publics.

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