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Les Invisibles

Le travail de maintenance : un savoir-faire d’excellence invisibilisé ?

Quel est le point commun entre une voiture, un serveur informatique, un pont, un smartphone, une horloge, une chaudière ? Ce sont des objets techniques, qui ne se maintiennent pas seuls en état. Ainsi, derrière chaque entretien ou réparation, se trouve une (ou plusieurs) personne(s) qui en assure(nt) la maintenance. Mais ce travail est invisibilisé, si bien que les conditions dans lesquelles ces travailleurs de la maintenance se retrouvent à travailler se dégradent. Qui sont-ils ? Quels sont les défis de leur travail ? Comment valoriser leurs compétences ? 

Le peuple des choses : une excellence de la maintenance

L’ONISEP décrit la maintenance comme le fait de “s’assurer du bon fonctionnement des machines et des matériels, dans des secteurs aussi variés que l’automobile, le transport ou l’informatique.” Cela recouvre les missions d’anticipation et détection de pannes, de suivi régulier des machines et équipements, de diagnostic et contrôle, d’organisation des interventions de maintenance (de manière préventive et curative), d’entretien, de proposition de solution, d’analyse des données de maintenance, etc… Et ce tant sur des bâtiments que des moyens de transport, des machines de production, des parcs, des ponts, ou encore des réseaux électriques.

Travailler sur ces différents supports exige un grand savoir-faire, que décrivent parfaitement les sociologues Jérôme Denis et David Pontille dans leur ouvrage « Le soin des choses. Politiques de la maintenance », publié en 2022. En relatant différentes histoires, les auteurs y présentent ceux qu’ils appellent « Le peuple des choses ». Ils les ont rencontrés, les ont accompagnés dans leur quotidien. Il en ressort une attention extrême au détail, des gestes méticuleux, une précision hors-norme. Ces travailleurs voient les « choses » d’une manière différente de celle des usagers. De fait, de leur point de vue, un produit, un équipement, une infrastructure n’est jamais « fini ». Ils interagissent avec la matière par un engagement corporel très fort, faisant appel au toucher, à l’ouïe, à la vue. Une attention au détail qui s’apprend sur le terrain, par transmission.

Entre manque de reconnaissance et mauvaise communication : un travail empêché

Ces réparateurs du quotidien sont indispensables au bon fonctionnement de nos usages quotidiens – les routes pour nos transports quotidiens, la chaudière à gaz de notre maison, le smartphone de nos ados, le service des eaux usées de notre ville, le système de climatisation de notre entreprise, etc. Ils représentent pourtant peu en termes financiers et en termes de reconnaissance. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela. 

Tout d’abord, dans l’imaginaire collectif, les métiers dont la création de valeur n’est pas visible, et la productivité difficilement chiffrable, ont du mal à être considérés. La société les perçoit mal (il n’est pas rare qu’un parent dise à son enfant qu’il “finira” mécanicien, technicien ou encore monteur s’il “ne travaille pas bien à l’école”). Il y a une opposition claire entre la fierté ressentie dans les succès de leur travail et le regard que porte la société sur eux. Leur travail est de plus freiné dans la production : parfois, l’on imagine et construit les “choses” sans prendre en compte l’entretien qui sera nécessaire par la suite. La question de la maintenabilité sur le long terme n’est pas pensée aux étapes de conception et de construction. Le résultat est sans appel : les objets et infrastructures sont délaissés car il n’y a plus assez de ressources financières allouées pour en assurer la maintenance.

De plus, dans ces secteurs d’activité la communication est souvent défaillante entre les instances de direction et le terrain. Ainsi, MM. Pontille et Denis ont vu que, si les travailleurs de proximité ont une connaissance approfondie des “choses” sur lesquels ils travaillent, les informations n’atteignent pas facilement toutes les chaînes de la hiérarchie. Un exemple frappant est l’effondrement du pont de Gênes en 2018 : si “le peuple des choses” a une connaissance approfondie de son environnement, au niveau global ils ne savaient pas combien il y avait de ponts en France, ni dans quel état ils étaient. 

Quelles pistes de solutions à l’avenir ?

Il est urgent de revaloriser le travail de maintenance, à l’heure où certains de ces métiers sont en tension. Pour ce faire, il faut commencer par mieux exploiter les compétences et connaissances de ces travailleurs. Leur point de vue d’expert doit être reconnu, la communication entre les instances améliorée, ce qui permettra d’avoir une meilleure connaissance du terrain. Ce sera également bénéfique en termes d’attractivité : faire confiance aux compétences et à l’intelligence de ce “peuple des choses” entraînera une plus grande fierté du travail.

Par ailleurs, la valorisation de ces métiers doit se faire dès le plus jeune âge, notamment en incluant davantage d’activités manuelles à l’école et en inculquant très tôt l’art de la réparation et de la sobriété, en opposition au remplacement systématique. Dans ce sens, STMicroelectronics Crolles a annoncé en janvier 2023 la création d’une école de formation dédiée aux métiers de la maintenance, implantée localement, et qui permettra de développer et maintenir les compétences sur le territoire ainsi que son attractivité. A l’issue d’une formation en alternance de 16 mois, les élèves obtiennent un « titre professionnel de technicien.ne de maintenance industrielle ».

De manière générale, dans l’imaginaire collectif, rendre ces métiers plus attractifs passe par une rupture de la pensée selon laquelle les « choses » fonctionnent seules. Il faudrait mieux connaître le travail d’entretien qui y est lié. Rendre visibles ces travaux et ces travailleurs, c’est aussi dire « stop » à l’obsolescence programmée et aux coûts cachés !

Aller plus loin sur le site de la Fondation Travailler autrement : Travailleurs invisibles : un temps de travail contraint lié aux évolutions des exigences de notre société, « Les Invisibles », plongée dans la France du back office, une étude inédite de la Fondation Travailler autrement, Métiers essentiels : quelle rémunération pour quelle productivité ?