Actualité
Livres

Les normes d’évaluation du travail éloignées de la réalité du métier

Cet ouvrage de psychodynamique du travail de Damien Collard étudie à travers trois études de cas les enjeux de l’évaluation du travail. Que ce soit par volonté politique (la plupart du temps) ou par nécessité économique (parfois), cette injonction sert des enjeux de gouvernance mais déclenche nombre d’effets pervers, auxquels les acteurs résistent tant bien que mal.

Le livre se découpe en quatre parties distinctes : trois monographies présentant les études de cas puis une analyse transversale et conclusive. Il a ainsi la qualité de présenter en profondeur son matériau, au plus près des métiers, notamment pour les deux premières parties. Il y étudie en effet deux situations organisationnelles au sein de la SNCF, chacune fruit d’un patient et complet travail de terrain. Ces parties montrent comment la mise en place de normes et d’injonctions « venues d’en
haut », pourtant basées sur des objectifs organisationnels légitimes (« ré-humaniser les gares » ou « garantir la qualité du service à la clientèle »), s’oppose à la réalité des métiers et aux compétences que les travailleurs et travailleuses ont développé justement pour répondre à ces objectifs.

Le « métier », notion centrale de l’ouvrage, est ainsi dénié et cette situation entraîne nombre de difficultés et de souffrance pour les agents. La troisième partie s’intéresse à l’évaluation de la recherche publique. Il montre comment la volonté de quantifier la production scientifique à des fins de gouvernance de l’activité entraîne chez les acteurs la nécessité de mettre en place des stratégies de production et de carrière présentées comme « mauvaises » dans leur capacité réelle à faire progresser le savoir scientifique.

La dernière partie propose une analyse transversale permettant d’identifier les constantes de ces trois situations. Ancrée en psychodynamique du travail, l’auteur y mobilise tant les travaux de Christophe Dejours que ceux d’Yves Clôt. Il y montre comment la volonté d’évaluer le travail conduit forcément à définir des normes qui ne seront jamais représentatives de la réalité du métier. De là, s’enclenche des spirales délétères de délitement du métier, des collectifs, des identités et souvent même de la santé de travailleurs et des travailleuses. Face à cette pression, les acteurs vont alors résister, soit individuellement (au prix d’un coût psychique significatif), soit collectivement localement, soit enfin collectivement globalement (notamment dans le cas des scientifiques, qui bénéficient là des ressources offertes par leur statut de « profession »).

Enfin, l’ouvrage conclue par deux ouvertures. Tout d’abord, il lie ses analyses au développement du New Public Management, donc les présupposés entraînement nécessairement la mise en place de telles dynamiques dans le secteur public ou parapublic. Ensuite, il propose deux scénarios organisationnels de mise en place d’évaluation du travail capables d’éviter les écueils identifiés jusque-là. Ces propositions bienvenues montrent ainsi qu’il existe des ressources pratiques permettant d’unifier les différents niveaux de contraintes.

L’auteur : Damien Collard est Maître de conférences en Sciences de gestion à l’Université de Franche-Comté et membre du Centre de recherche en gestion des organisations (CREGO – Université de Bourgogne).

La citation : « Nous avons vu […] que les normes pouvaient jouer le rôle d’un véritable rouleau compresseur, venant occulter les difficultés et les obstacles de toutes sortes rencontrés par les agents en front office dans leur travail, gommer les tensions qui sont au cœur de leur activité, mais aussi « écraser » les savoir-faire et les compétences mobilisés au quotidien par ces agents pour tenir (malgré tout) les objectifs qui leur sont assignés. »

 

> En savoir plus ici

> Et sur le site de la Fondation : le dialogue comme source de qualité au travail.