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3 questions à… Jean-Paul Bouchet, auteur de « Jouer Collectif : un choix professionnel et syndical »

Engagement professionnel et engagement syndical se sont conjugués tout au long de la carrière professionnelle de Jean-Paul Bouchet. Ses responsabilités successives de délégué du personnel, secrétaire de comité d’entreprise, puis de secrétaire général de la CFDT Cadres de juin 2009 à juin 2016 ont jalonné son parcours professionnel et militant. Il a été membre du Bureau national de la Confédération CFDT, auprès de François Chérèque puis de Laurent Berger. Fin janvier 2012, il devient vice-président puis président de l’AGIRC, l’organisme de gestion des retraites complémentaires des cadres. Il est l’auteur de 3 ouvrages : « Manager sans se renier », « Oser l’alerte » et « Jouer collectif » aux Editions de l’Atelier. Entretien.

Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur ce management éthique et responsable que vous appelez de vos vœux depuis les prémices de votre engagement ?

Si l’on s’entend sur les principes fondamentaux d’un management éthique et responsable : respect des personnes avec qui l’on travaille,  respect des règles de déontologie ou du métier, respect des droits fondamentaux et des règles de droit de manière générale, respect de l’environnement, et éthique personnelle de la responsabilité managériale, force est de constater qu’il y a encore un écart conséquent entre le discours et les réalités. Les chartes éthiques se sont multipliées, les accords de responsabilité sociale des entreprises ont progressé en nombre, mais de la théorie ou de l’écrit à la pratique et à la mise en œuvre des engagements contractuels, il y a encore beaucoup à faire. Le maillon faible reste encore la discussion voire la négociation des règles collectives d’exercice d’un management éthique et responsable avec les premiers acteurs concernés, les managers, les cadres à tous les niveaux de l’entreprise. Il n’y a pas d’éthique sans dilemme de responsabilité, ce qui suppose l’existence d’un référentiel de règles négociées et des dispositifs d’appui aux personnes confrontées à des situations de dilemmes de responsabilité. L’existence en droit français et européen d’un droit d’alerte et d’une protection associée constitue un pas important, mais le seul cadre règlementaire et législatif ne saurait suffire à changer les comportements et les pratiques managériales au quotidien. La récente négociation nationale interprofessionnelle sur l’encadrement aurait pu permettre d’aborder ces questions, de discuter des dispositifs d’appui aux salariés et aux managers en particulier, des conditions d’exercice d’un management éthique et responsable. Mais il semble que les acteurs syndicaux et surtout patronaux n’y étaient pas disposés. C’est pourtant là qu’il faut encore progresser.

Vous évoquez dans votre livre une crise de l’utilité du syndicalisme pour les salariés et même plus loin, pour les citoyens. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La crise des gilets jaunes a non seulement révélé une grande distance entre les citoyens et le pouvoir politique et les institutions d’une manière plus générale (y compris les organisations syndicales), mais aussi une grande méconnaissance des acquis du syndicalisme, du paritarisme, et des droits associés pour les salariés, les fonctionnaires et plus globalement les citoyens. Je cite dans mon livre cet exemple des gilets jaunes sur le rond-point à côté de chez moi, ignorant tout de l’origine de leurs revenus de pensions de retraites, mais aussi ces futurs diplômés d’école d’ingénieurs ignorant tout du contenu d’une fiche de paie, à quoi correspondent les lignes de cotisations sociales et les droits associés, actuels ou futurs. L’utilité sociale du syndicalisme est peu visible, invisible même pour tant de citoyens et parfois mêmes de travailleurs, sauf si en proximité de ces derniers, des élus, des représentants des salariés font savoir, connaître les résultats, les acquis des négociations. Les syndicalistes ne sont en général pas des bons vendeurs des résultats qu’ils obtiennent. Ils ne font pas assez savoir, connaître. Le travailleur a des droits, il ignore souvent qu’il a aussi des devoirs. Contributions et rétributions deviennent souvent invisibles, parfois illisibles de par la complexité des systèmes.  La distance s’installe et avec elle la méconnaissance et la méfiance de tout ce qui vient « d’en haut ». C’est dans la proximité dans l’entreprise, sur un territoire, qu’il faut réduire tous ces écarts, redonner à voir,  à lire l’utilité du syndicalisme dans toutes ses composantes : syndicalisme d’entreprise, syndicalisme du cadre de vie…

C’est le point de vue et les besoins du bénéficiaire tout au long de sa vie et dans toute la diversité de ses attentes, qui doivent être mieux pris en compte, non seulement pour donner à voir cette utilité sociale mais redonner au syndicalisme en panne d’image positive, de nouveaux facteurs d’attrait.

Comment imaginez-vous le dialogue social dans 20 ans ?

Je ne suis pas Madame Soleil et bien malin qui pourrait répondre à cette question avec des certitudes. Faisons toutefois un peu de prospective. Un scénario de disparition n’est pas à exclure. Si le syndicalisme est mortel, comme cela a déjà été entendu, alors, le dialogue social qui en est l’assise, l’instrument majeur, pourrait être mis en difficulté.  Sauf à se réinventer pour aller vers plus de dialogue professionnel, sur les conditions du « faire son travail », les conditions des coopérations entre les acteurs de la chaîne de production de services ou de produits pour répondre à des attentes de bénéficiaires, usagers, clients et s‘adapter à celles-ci. Il faut repartir de là, réinventer le dialogue à partir de la finalité, de la raison d’être. La relation employeur – représentant des salariés ou des agents, devra s’ouvrir sur ces sujets. Dialogue sociétal plus que social au sens où nous l’entendons aujourd’hui, et dialogue professionnel doivent s’articuler.

De ce point de vue, la création du Pacte du Pouvoir de vivre ou Pacte écologique et social peut fortement contribuer à cette évolution que j’appelle de mes vœux. Le syndicalisme ne peut rester isolé, surtout dans un contexte de faiblesse du nombre de ses adhérents, de moindre facteur d’attrait, et d’utilité questionnée ou mal comprise. Jouer collectif à tous les étages, renforcer les coopérations pour un mieux vivre ensemble, plus de justice et de solidarité, repartir en permanence du « bénéficiaire final », le citoyen, le travailleur, c’est sur ces fondamentaux que doit de réinventer le dialogue social, pour ces années à venir.

> Pour en savoir plus sur l’ouvrage de Jean-Paul Bouchet, Jouer Collectif, un choix professionnel et syndical

> Egalement à lire sur le site de la Fondation Travailler autrement, Existe-t-il un management désirable ?