Rehaussement des seuils d’activité des auto-entrepreneurs : note sur les effets contraires aux objectifs annoncés

Dans le cadre de la lutte contre le chômage, le Ministre de l’Economie souhaite dynamiser l’entreprenariat notamment en permettant au plus grand nombre d’accéder au régime des autoentrepreneurs.

Ce régime dérogatoire permet notamment aux entrepreneurs de bénéficier d’un taux forfaitaire global de 23,1% pour les cotisations sociales en matière de prestations de service, d’un prélèvement libératoire de l’impôt sur le revenu et d’une franchise de TVA.

Le Gouvernement envisage ainsi de multiplier par trois les plafonds d’activité permettant de bénéficier de ce régime, aujourd’hui fixés à 32.900 euros s’agissant des prestations de service et à 82.200 euros pour les activités commerciales.

Si la philosophie qui sous-tend cette mesure parait intéressante, ce projet aura sur le moyen et le long terme des effets contraires aux objectifs annoncés par le Président de la République et le Gouvernement, sur les emplois et le travail des indépendants.

1. De multiples conséquences économiques et sociales néfastes

a. L’augmentation du recours à l’externalisation abusive des salariés

Afin de se soustraire à la réglementation du travail et de bénéficier d’un allègement de leurs cotisations sociales, certains employeurs, notamment des PME et TPE, imposent à des candidats de recourir au statut d’autoentrepreneur.

Ces abus, déjà existants, qui n’ont fait l’objet d’aucune étude statistique, sont susceptibles d’augmenter massivement, notamment dans les secteurs d’activité à forte valeur ajoutée.

Le contournement des obligations du droit du travail constitue pour l’employeur une fraude constitutive du délit de travail dissimulé entrainant la requalification du contrat et la condamnation au paiement des salaires et cotisations sociales.

Compte tenu des aléas judiciaires en matière de requalification, le rehaussement des seuils augmentera autant que l’insécurité juridique des PME et TPE.

b. Les effets dévastateurs de cette mesure sur les nouvelles formes d’emploi et les artisans

Le rehaussement du seuil de chiffre d’affaires de l’autoentrepreneur risque de pénaliser les nouvelles formes d’emploi comme le portage salarial, régime par ailleurs prôné par le Gouvernement, ou l’artisanat, qui seront incités à migrer vers le régime de  l’autoentrepreneur.

Les entreprises clientes du portage salarial, lequel est destiné aux activités à forte valeur ajoutée, risquent d’abandonner le portage salarial au profit du régime apparemment plus simple de l’autoentreprise. Selon l’organisation professionnelle PEPS (Professionnels de l’Emploi en Portage Salarial), sur une période de 2 ans, 30 à 40 % des structures et les 15.000 contrats de travail qui y sont rattachés seraient menacés et ce, alors que le développement de ces nouvelles structures est en plein essor.

Par ailleurs, le triplement du plafond d’activité devrait encore accroître les risques de concurrence déloyale et in fine, de faillite à l’égard des artisans, dont le régime fiscal et social est bien moins favorable que celui de l’auto-entrepreneur. Risques que la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite loi PINEL, avait pourtant pour objet d’atténuer.

Ainsi, l’augmentation du plafond d’activité des auto-entrepreneurs aura nécessairement pour conséquence la destruction d’entreprises de portage salarial et d’artisanat, qui ont pourtant fait récemment l’objet de diverses mesures de soutien par le Gouvernement.

c. Les risques de précarisation durable des salariés, des artisans et des salariés portés ayant opté pour le régime de l’auto-entrepreneur

Les salariés ainsi que ceux ayant opté pour le portage salarial sont de plus en plus nombreux à envisager de recourir au régime de l’autoentreprise en vue de maximiser leur pouvoir d’achat.

En effet, l’auto-entrepreneur dispose par rapport au salarié d’un avantage comparatif pour les salaires qui ne sont pas situés proche du SMIC et bénéficie ainsi de l’allégement de cotisations patronales de sécurité sociale. Ce différentiel est d’au moins 17 points à partir de 2 SMIC pour atteindre au moins 25 points à 3 SMIC.

Cet effet d’aubaine, qui risque de se généraliser, se fera nécessairement au détriment, sur le plus long terme, de la protection sociale des salariés et des salariés portés.

Le risque de faillite déjà relativement élevé des autoentreprises pourrait par ailleurs se décupler lorsqu’elles sont l’oeuvre d’anciens salariés, artisans et salariés portés qui n’ont aucune expérience ou formation pour gérer une autoentreprise ou pour transiter d’un régime à un autre et qui ne bénéficient d’aucun accompagnement, contrairement à ce que permet le portage salarial.

In fine, cet effet pervers se traduira nécessairement par une hausse de chômage sur le moyen/long terme, contrairement à l’effet voulu par le Président de la République.

Cette mesure est également en contradiction avec les ambitions voulues par le Président de la République dans le cadre de la mise en place du Compte Personnel Activité actuellement en discussion avec les partenaires sociaux.

d. Une mesure coûteuse pour l’état

Compte tenu des avantages fiscaux du régime de l’auto-entrepreneur, le rehaussement des plafonds risque d’entrainer un effet d’aubaine pour les sociétés jusqu’à présent situées au-dessus de ces seuils et dont les charges sont si faibles qu’elles ont intérêt à opter pour le système de l’abattement forfaitaire, réduisant ainsi leurs prélèvements sociaux et fiscaux. Cela concernerait en grande partie des artisans ainsi que des professions libérales non réglementées.

2. Une réforme inopportune au regard de la réalité de l’activité des autoentrepreneurs

Le montant moyen du chiffre d’affaires des auto-entrepreneurs économiquement actifs s’élevait en 2013 à 9.064 euros par an et est donc très inférieur aux plafonds actuels du régime (80.300 euros annuels pour une activité commerciale, 32.100 euros pour les prestations de services et les activités libérales).

Par ailleurs, en 2013, sur les 226.500 radiations d’autoentreprise, seules moins de 2 % sont la conséquence d’un dépassement de seuil (source ACOSS).

L’augmentation du plafond du chiffre d’affaires est non seulement inutile au regard des statistiques susmentionnées, mais elle est également une réponse inadaptée pour lutter contre le chômage, le seuil maximal n’étant pas un frein à l’entreprenariat.

Ressources complémentaires