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Travailler après 50 ans : stop ou encore ?

Transition démographique, allongement des carrières, réforme des retraites, pénurie de main-d’œuvre… : dans un marché du travail en tension, les plus de 50 ans ont vocation à travailler et doivent être dans l’action. Mais travailler en tant que senior recouvre des réalités plurielles, entre choix et nécessité, aspirations et contraintes. Alors que l’âge de retour à l’emploi se complique après 56 ans, comment lever les freins, valoriser les compétences des seniors et adapter les conditions de travail ? 

Travailler plus longtemps, un enjeu socio-économique ?

En France, les plus de 65 ans représentent 22% de la population, un chiffre qui devrait dépasser 30% à l’horizon 2070. Cette évolution démographique conduit à un double impératif : prolonger la vie professionnelle des seniors pour soutenir notre système de protection sociale, et repenser leur place dans l’économie et dans les entreprises.

En théorie, la durée légale du temps de travail s’étend en France de 16 à 70 ans. Car au-delà de 70 ans, l’employeur peut légalement mettre d’office son salarié à la retraite. Mais cette durée théorique ne correspond pas à la réalité vécue par les travailleurs de plus de 50 ans. En effet, l’âge de 56 ans marque un véritable seuil : au-delà, le retour à l’emploi devient beaucoup plus difficile. Selon Vincent Touzé, économiste à Sciences Po, “le taux d’emploi des 45-64 ans a certes progressé ces quinze dernières années, passant de 40% à 55%, mais il reste insuffisant” au regard des enjeux démographiques et économiques actuels. Cette situation française se détache nettement de celle observée chez nos voisins européens. En Allemagne, par exemple, le taux d’emploi des 55-64 ans atteint 74,6%, soit près de 16 points de plus qu’en France, où il plafonne à 58,4%. 

Maxime Sbahi, expert au Club Landoy déplore qu”il n’y a qu’en France que l’on considère que les quinquas sont des retraités, alors que dans d’autres pays, ils restent pleinement actifs”, ce qui contribue d’ailleurs à ce que les seniors soient trop souvent exclus ou sous-employés. Une enquête internationale du Global Deal France révèle qu’au sein d’une même entreprise, jusqu’à 17% des salariés ont plus de 60 ans dans certains pays, contre seulement 5-6% en France. Un ”gâchis du sous-emploi” dénoncé par la ministre du travail Astrid Panosyan Bouvet.

Vivre sa carrière après 50 ans : quels freins ? quelles réalités ?

Au-delà des impératifs économiques et sociaux liés à la protection sociale, les seniors représentent un véritable levier et une ressource précieuse pour les entreprises et la société. Pourtant, leurs parcours et leurs expériences sont loin d’être homogènes. 

Certains seniors sont passionnés par leur travail, désireux de continuer à s’épanouir, à maintenir un lien social et à transmettre leurs savoir-faire. Pour eux, rester actifs professionnellement est un moteur d’utilité et d’épanouissement personnel. D’autres sont contraints de travailler, souvent épuisés, sans réelle alternative. La précarité des pensions de retraite, combinée à des carrières fragmentées ne leur laisse parfois aucun choix : continuer à travailler devient une nécessité pour vivre dignement. 

Pourtant, lorsqu’ils faut rester actifs, les seniors font face à de nombreux obstacles, notamment lors du recrutement. Une étude Opinionway pour Grant Alexander de 2023 révèle que 68% des DRH ont déjà écarté des candidatures seniors, et 74% ont reçu une consigne explicite de privilégier les profils plus jeunes. Les inégalités croisées viennent aggraver ces difficultés, touchant particulièrement les femmes seniors, les personnes en situation de handicap ou issues de territoires défavorisés, qui cumulent une double peine. Des réseaux comme Force Femmes par exemple accompagnent les femmes de plus de 45 ans à leur employabilité. Par ailleurs, la peur de certains managers d’avoir en face d’eux des salariés plus expérimentés qu’eux-mêmes contribue à renforcer ce rejet. Dans ce contexte, le terme même de “senior” est remis en question.  Adnan Maâlaoui, professeur au Prince Mohammed Bin Salman College of Business and Entrepreneurship en Arabie Saoudite, explique : “En France, dans le monde du travail, les plus de 45 ans sont considérés comme des “seniors”. Un qualificatif qui, pour les entreprises, n’est pas synonyme d’expérience, mais “vu comme un poids””.

Cette situation se traduit par des durées de chômage nettement plus longues pour les seniors, qui restent en moyenne 771 jours sans emploi après 55 ans, contre 349 jours pour le reste des demandeurs. Face à ces difficultés, certains n’ont d’autre choix que de quitter le salariat pour se lancer dans l’entrepreneuriat ou l’indépendance. Selon un rapport de France Stratégie d’octobre 2022, ils sont 40% à créer leur propre emploi par contrainte, “tout en continuant souvent de chercher un métier d’appoint”.

Quels leviers pour mieux intégrer et accompagner les seniors au travail ?

Le gouvernement encourage le maintien en emploi des seniors avec des dispositifs comme Emploi 50+ ou des lois, actuellement débattues, comme celle pour des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des seniors. Mais les employeurs ont aussi un rôle central à jouer pour mieux intégrer et accompagner les seniors.

La première étape consiste à reconnaître et valoriser les compétences des seniors. Leur savoir-faire constitue un capital précieux, notamment pour les entreprises confrontées à des pénuries de main-d’œuvre qualifiée. Un levier transversal, mais souvent sous-estimé, réside alors dans la culture managériale. Reconnaissance des acquis, adaptation des objectifs, équilibre entre vie professionnelle et personnelle…Les managers doivent être sensibilisés aux spécificités des carrières longues et de l’intégration dans les équipes afin de fidéliser et de recruter.

L’adaptation des conditions de travail apparaît également comme un levier incontournable, surtout dans les métiers pénibles, où travailler après 60 ans  sans que rien ne change n’est plus envisageable. L’aménagement des horaires, la réduction des charges physiques, ou encore la formation continue, qui est un autre levier essentiel. Des initiatives comme le programme “Atout Senior”  en Île-de-France favorisent l’accès des seniors à des formations adaptées à leurs besoins.

L’évolution des trajectoires professionnelles représente également un levier à part entière. Intégrer les seniors dans les plans de mobilité interne ou de reconversion, à égalité avec les autres tranches d’âge, permet de maintenir leur motivation tout en répondant aux besoins de l’organisation. Cela suppose de mettre en place des bilans de carrière à partir d’un certain seuil d’ancienneté ou d’âge (par exemple 45 ou 50 ans), pour construire des parcours personnalisés et éviter les impasses professionnelles.

 

Les seniors ont des compétences, des expériences et une motivation qui méritent d’être pleinement valorisées. Ils aspirent à travailler, à être reconnus et à continuer à s’investir pleinement, sans stigmatisation ni exclusion. Dans un marché du travail sous tension et une société qui vieillit, garantir aux seniors la possibilité de continuer à exercer est un impératif collectif crucial et une opportunité à saisir !