
Métiers : qu’est ce qui changera demain ?
Les métiers évoluent au rythme des grandes transformations : écologie, numérique, vieillissement démographique… Certains émergent, d’autres se transforment. Dans ce contexte, les compétences peuvent prendre le pas sur les diplômes, les parcours deviennent moins linéaires, les inégalités d’adaptation risquent de se creuser, mais de belles opportunités peuvent aussi émerger. Quels seront les métiers de demain, et pour qui seront-ils accessibles ?
Une évolution des métiers liée aux transformations économiques et sociétales
Le futur du travail n’est “pas complètement incertain”, selon Amandine Brugière, responsable de développements techniques et scientifiques à l’Anact. De fait, les changements timides d’aujourd’hui laissent entrevoir les bouleversements de demain.
A l’horizon 2050, la transition écologique devrait redéfinir jusqu’à 8 millions d’emplois en France selon le SGPE (Secrétaire Général à la Planification Écologique). Ce chiffre ne signifie pas l’émergence de millions de métiers entièrement nouveaux, mais une transformation à grande échelle de fonctions déjà existantes : techniciens de maintenance pour les éoliennes, conseillers en rénovation énergétique, ou encore spécialistes du bilan carbone pour les collectivités locales… C’est alors la manière de les exercer, les compétences nécessaires pour les occuper, les outils mobilisés et les objectifs assignés qui évolueront. Dans le bâtiment par exemple, la montée en puissance des matériaux biosourcés, des techniques de construction bas carbone ou encore des systèmes énergétiques intelligents imposera de nouvelles compétences aux ouvriers, conducteurs de travaux, chefs de chantiers ou encore aux architectes. Le secteur de la santé connaîtra, lui aussi, une reconfiguration profonde. Les outils d’aide au diagnostic basés sur l’IA, la télémédecine et les dispositifs connectés de suivi des patients redessine déjà le rôle des soignants, qui auront plus de place à se consacrer aux malades.
Néanmoins, si 170 millions d’emplois seront créés d’ici à 2030, 92 millions seront supprimés, principalement du fait de l’automatisation des tâches, selon le rapport 2025 Futur of Jobs du Forum Économique Mondial. C’est le cas des traducteurs, secrétaires, postiers, opérateurs de saisie de données, assistants administratifs, caissiers, comptables, gestionnaires des stocks… Au total, 6% des métiers sont “à risque” et pourraient être menacés, à court ou moyen terme.
Certains métiers apparaissent justement comme résilients face aux transformations technologiques, précisément parce qu’ils s’appuient sur ces qualités humaines difficilement automatisables. La Dares estime que les métiers du care (petite enfance, aide à domicile, accompagnement des personnes âgées ou en situation de handicap…) représenteront plus de 370 000 postes à pourvoir d’ici 2030. Le vieillissement démographique, le besoin croissant d’accompagnement individualisé, et les limites de l’automatisation dans le champ relationnel vont redonner une place centrale à ces métiers, encore trop souvent précaires ou invisibilisés. Empathie, écoute, capacité à résoudre des conflits ou à créer du lien… À l’horizon 2035, 55% des compétences d’un actif seront dites “spécifiquement humaines”. Dans un monde où la technologie sera omniprésente, c’est peut-être la singularité humaine qui fera la différence.
Cette transformation des métiers amène alors à une remise en question plus large de la manière dont nous préparons les individus à se former.
Le diplôme initial, demain obsolète ?
Ce déplacement du regard vers les compétences conduit à une remise en question intéressante du rôle du diplôme initial sur la carrière. Alors que les parcours professionnels sont de plus en plus fragmentés, et que les savoirs techniques se périment de plus en plus vite (3 ans aujourd’hui contre 30 ans en 1987), la logique traditionnelle du “une personne, un diplôme, une case” s’efface au profit d’une logique de compétences, d’adaptation et de formation continue. Certes, les professions qui nécessittent des expertises précises (chirurgien, pompier, notaire, carreleur, vigneron…) imposeront toujours des formations encadrées, complètes, et certifiées. Mais demain, les individus auront aussi accès à des parcours modulaires, personnalisés, et interconnectés, leur permettant d’acquérir et de valider des compétences tout au long de leur vie professionnelle, en fonction de l’évolution de leurs aspirations et des besoins du marché du travail. Bruno Bonnell, Secrétaire général pour l’investissement en charge de France 2030, juge le défi des compétences comme un enjeu vital, sans quoi “aucune transformation durable n’est possible”.
Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à ouvrir leurs recrutements à des profils dits “autodidactes”, avec peu ou pas de diplômes, ou formés via des voies alternatives à celle, plus classique, des études supérieures. Pour Leslie Dehant, DRH d’Accenture France, “La majorité des métiers qui recruteront dans vingt ans n’existent pas aujourd’hui, ou, s’ils existent, il n’y a pas de parcours de formation y préparant. […] De ce fait, lorsqu’une entreprise engage un collaborateur, ce qui l’intéresse c’est moins ses compétences à un instant donné que son potentiel et sa capacité à s’adapter et à développer de nouvelles compétences”.
Si les diplômes conservent une valeur symbolique et structurante, leur poids sera pondéré dans les critères de recrutement, qui mettront davantage l’accent sur la reconnaissance des compétences acquises dans divers contextes en plus de sa vie professionnelle, comme le bénévolat et les projets personnels. Certaines voix plaident même dès aujourd’hui pour une réforme radicale du système de formation français. Le Think Tank VersLeHaut propose par exemple de supprimer le baccalauréat pour le remplacer par des projets professionnels sur cinq ans, de 16 à 21 ans, afin d’”offrir aux jeunes des parcours éducatifs plus pertinents et mieux adaptés aux besoins du marché du travail”. A l’international, des modèles comme celui de SkillsFuture à Singapour pour aider au développement continu des compétences, de l’école à la fin de carrière, ou celui de la formation modulaire en Finlande montrent que l’évolution des compétences tout au long de la vie deviendra la norme.
Tous égaux face au travail du futur ?
Encore faut-il que chacun puisse accéder à ces opportunités. Car la transformation du travail, loin d’être homogène, creuse aussi de nouvelles lignes de fracture. Les grandes entreprises disposent plus facilement des ressources nécessaires pour anticiper les mutations, investir dans la formation, recruter des profils spécialisés. Les petites structures, en revanche, font face à des contraintes fortes de temps, de budget et de moyens humains. A cela s’ajoute une inégale répartition des opportunités sur le territoire. Dans le secteur numérique par exemple, les dynamiques sont déjà bien enclenchées : les data scientists, les experts en cybersécurité, les architectes et développeurs IA sont aujourd’hui parmi les profils les plus recherchés, et devraient continuer à se développer au fil des prochaines années, sous l’impulsion croisée de l’automatisation, du cloud, de la data et de l’intelligence artificielle. Mais ces emplois du futur se concentrent souvent dans les grandes métropoles, à proximité des hubs technologiques, des infrastructures de recherche ou des pôles d’innovation.
Des initiatives existent pour empêcher un creusement des inégalités. Par exemple, le programme “Usine du Futur” proposé par la région Nouvelle-Aquitaine accompagne les TPE-PME industrielles dans leur modernisation, en combinant accompagnement technique, transformation managériale et montée en compétences. Les zones rurales ne feront pas exception à l’explosion du numérique. C’est l’ambition du projet FAAN (Formation Agricole Agrivoltaïsme Numérique) du plan d’investissement France 2030 qui souhaite soutenir une “troisième révolution agricole” en développant une agriculture du futur : agriculture de précision, recours aux capteurs, à la cartographie et aux drones… Demain, les agriculteurs deviendront aussi des gestionnaires de données agricoles, utilisant des plateformes numériques pour optimiser les rendements, surveiller la santé des cultures en temps réel…. Des associations comme Women in Tech, qui ambitionne de former 5 millions de femmes et de filles aux métiers des STEAM (Sciences, technologie, Ingénierie, Art et Mathématiques) d’ici 2030, participent aussi à élargir l’accès à ces nouvelles perspectives.
Les métiers de demain seront hybrides et évolutifs. Ils ne correspondront plus toujours à des catégories fixes, mais à des ensembles de compétences adaptables. Surtout, ils ne sont pas encore tous inventés. Une opportunité formidable pour penser le travail autrement dès aujourd’hui, en plaçant l’humain au cœur des transformations, en valorisant la diversité des talents, en construisant des parcours multiples, porteurs, et épanouissants, à condition de ne laisser personne de côté.