
Quelle organisation du travail pour demain ?
Flexibilité du travail, aspiration à un meilleur équilibre des temps de vie, quête de sens… Depuis la crise sanitaire, l’entreprise connaît des transformations profondes et cumulées qui imposent résilience et innovation. L’organisation du travail de demain devra prendre en compte ces évolutions – pour certaines facilitées avec le développement des outils technologiques – mais sans freiner les objectifs de productivité des entreprises, et sans renforcer un creusement des inégalités sociales entre les salariés. Et cela s’anticipe déjà aujourd’hui.
Repenser le temps de travail à l’heure des mutations
Contrairement aux idées reçues, les Français ne sont pas paresseux, et travaillent en moyenne 36,9 heures par semaine (Dares). Mais demain, le classique cinq jours sur sept, 7 heures par jour, sera peut-être caduc. D’abord parce que la semaine de 4 jours séduit de plus en plus. Les retours des voisins européens sont positifs, et 77% des Français la sollicitent. En 2023, 459 accords d’entreprises signés la mentionnaient (contre 80 en 2020). Il faudra quand même dans le futur porter une attention aux risques d’intensification du travail, et à la pérennité des entreprises qui adoptent ce modèle.
Au-delà de la semaine de 4 jours, on peut imaginer dans le futur une modulation du temps de travail en fonction des cycles de vie individuels : plus intensément en début de carrière, un ralentissement lorsqu’on a des enfants ou que l’on est aidant, etc. Marion, communicante dans une boutique pour enfants, témoigne : “je veux profiter d’eux tant qu’ils sont petits. Mon boulot, je l’aurai jusqu’à 64 ans, alors que mes enfants seront grands dans 10 ans.” Le défi sera de s’assurer que le choix du ralentissement est mutuel : ce sont souvent les femmes qui réduisent leur temps de travail pour s’occuper des enfants, et elles occupent aujourd’hui 78% des temps partiels ! A l’inverse, on peut imaginer aussi des variations plus souples en fonction du cycle de vie des entreprises.
Demain, le temps de travail évoluera aussi sûrement en fonction des saisons : avec le réchauffement climatique, les secteurs comme le BTP devront s’adapter, avec un travail peut-être plus intense au printemps et à l’automne, pour éviter les phases de canicule ou de grand froid. Les pouvoirs publics l’ont compris puisqu’ils viennent d’adopter une loi dans ce sens. Le futur du travail commence aujourd’hui ! Laetitia Vitaud, autrice et conférencière sur le travail, défend un “retour au rythme saisonnier”, avec la nécessité d’“accepter que certaines périodes soient plus intenses (avec parfois des pics d’activité, comme dans le tourisme) alternant avec des phases de récupération créative”, afin de suivre des “cycles naturels”. Le futur du travail demandera donc de la souplesse réciproque de la part du collaborateur et de l’employeur pour accepter ces évolutions du temps de travail sur l’année.
Une flexibilité accrue, mais encadrée
Le télétravail incarne l’une des transformations majeures de l’organisation du travail : 25% des Français le pratiquent aujourd’hui, mais rarement à 100% de leur temps, pour les inconvénients que l’on ne présente plus. Le télétravail de demain sera donc probablement hybride, à condition que ce soit choisi et non imposé ! Chez Ubisoft par exemple, la décision de faire revenir les collaborateurs 3 jours par semaine au bureau avait déclenché en octobre 2024 une grève nationale. Les évolutions futures sur le télétravail ne pourront se faire sans dialogue et transparence. Par ailleurs, il sera indispensable de ne pas aggraver la fracture sociale entre ceux qui télétravaillent et ceux qui ne le peuvent pas : Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière de 2004 à 2018 et Vice-président de Synopia, affirme qu’il faudra des compensations, et alerte notamment sur les travailleurs invisibles.
Pour beaucoup de travailleurs, la flexibilité ne s’arrête d’ailleurs pas au télétravail, mais à d’autres aspects : horaires aménagés, droit à la déconnexion, anticipation des plannings… Si le télétravail n’est possible que pour une minorité, la flexibilité va quant à elle s’imposer à l’avenir. Le “Baromètre du bonheur au travail vu par les jeunes” de ISC Paris et BVA Xsight sorti en 2025 révèle que dans les principaux leviers à activer pour favoriser l’équilibre, la flexibilité sur les horaires arrive en première position pour 53% des travailleurs, contre 27% pour le télétravail. Là aussi, la majorité des réponses sont faites par des cadres et personnes diplômées à bac+5. L’avenir devra donc se charger de répondre aux attentes de ces derniers en termes de flexibilité, sans élargir le fossé avec ceux dont l’organisation du travail est plus rigide. La notion de sur-mesure sera donc de plus en plus importante, avec des droits et devoirs pour toutes les parties.
Une place du travail redéfinie
Il n’y a pas si longtemps, la vie d’un Français se résumait à trois choses : travail, famille, Eglise. Aujourd’hui, le travail a perdu sa place centrale et les travailleurs souhaitent se consacrer davantage aux loisirs, au sport, à des actions de bénévolat… Dans la bande-dessinée Travailler Demain, parue en 2025, le constat est partagé : les jeunes sont en quête d’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Comme le résument les sociologues Dominique Méda et Maëlezig Bigi, “Les Français sont attachés au travail, placent sur lui d’énormes attentes, souhaiteraient pouvoir s’exprimer et s’épanouir grâce au travail. Mais cela ne fait pas obstacle au fait qu’il existe d’autres manières de se réaliser, de s’exprimer, de faire société.”
Congés sabbatiques, pauses liées à la parentalité, congé bénévolat… d’après le sociologue Jean-Yves Boulin, la France est en retard : en Suède par exemple, le congé parental dure environ 15 mois, et est rémunéré à 80% les 12 premiers mois. Le congé d’engagement associatif existe déjà quant à lui depuis 2017 dans l’Hexagone. Mais il se développe pour l’instant timidement. Dans ce sens, les JO 2024 ont été l’occasion de voir des salariés utiliser leurs jours de congés ou s’arranger avec leurs entreprises pour y être bénévoles : “je n’ai aucun regret, je vois surtout l’expérience unique que je vais vivre”. Une façon de faire encore peu répandue, mais qui pourrait être valorisée demain : “cela peut montrer à un recruteur que l’on est engagé, prêt à sortir de sa zone de confort”. Dans le même sens, les députés viennent de voter début juin 2025 une loi qui prévoit une autorisation d’absence du travail jusqu’à 8 fois par an pour donner son sang.
Jean-Claude Mailly se veut rassurant : cette évolution de l’organisation du travail ne traduit pas pour lui un désengagement, mais un rééquilibrage. Mais attention là aussi à ne pas agrandir demain la fracture sociale “entre ceux qui cherchent à travailler moins quitte à être moins bien payé, et ceux qui cherchent toujours à travailler plus pour gagner plus”, témoigne Jean Viard, sociologue. Selon lui, pour assurer une meilleure organisation du travail, il faudra jouer aussi sur d’autres leviers comme le rapprochement entre le lieu de vie et le lieu de travail, ou la refonte des temps scolaires.
Aucune de ces évolutions dans l’organisation du travail ne sera possible sans la bonne volonté des employeurs, des collaborateurs et des managers. Il sera à l’avenir urgent de prouver qu’une souplesse accordée par les entreprises à leurs salariés permettra un meilleur engagement et in fine une meilleure productivité. A l’inverse, les salariés devront saisir ces opportunités pour montrer qu’ils n’en sont que plus motivés.