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Derrière l’expression « la jeunesse », une pluralité de rapports au travail

Souvent accusés de paresse ou de désengagement, les jeunes entretiennent en réalité un rapport complexe au travail. Génération Covid, qui voit une transformation profonde des organisations, un développement des usages numériques inédit et une stabilité de l’emploi incertaine, les jeunes réinventent le rapport au travail… mais tous n’ont pas les mêmes attentes ni les mêmes aspirations.

Vers la fin de la place centrale du travail dans la vie des jeunes ?

Un article du Monde (juin 2025) révélait que certains jeunes construisaient leur rapport au travail en rupture avec ce qu’avaient connu leurs parents : Pauline, par exemple, “a mis un point d’honneur à s’économiser après avoir vu son père, commercial, s’user au travail”. La sociologue Danièle Linhart explique que les jeunes d’aujourd’hui ont été témoins directs, via leurs parents, d’une “dégradation des conditions de travail”. Et depuis la pandémie, les travailleurs – notamment les jeunes – imaginent le travail comme moins central. D’ailleurs, le développement de la société de loisirs les encourage de plus en plus à penser le travail aujourd’hui en fonction de leur lieu de vie, de leur famille, de leur pratique sportive ou culturelle, et pas l’inverse : le travail n’a plus la même place.

Cette désacralisation du travail par les jeunes se traduit par un souci de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. L’étude de l’Apec et de Terra Nova (février 2024) indique que, si la rémunération reste le plus important pour 55% des 18-29 ans, la possibilité de concilier travail et temps libre arrive en deuxième position. Par exemple, alors que le besoin de flexibilité est souvent perçu comme une nécessité chez les jeunes, dans les faits, ils étaient en 2023 58% à préférer des horaires de travail stables à des horaires variables. En revanche, certaines catégories de jeunes sont plus attachées à l’équilibre vie pro / vie perso que d’autres : c’est le cas des parents par exemple (58% y sont attentifs contre 45% des célibataires) et des femmes (57% contre 46% des hommes).

Mais les jeunes ne sont pour autant pas frappés d’une épidémie de flemme ou d’oisiveté : 80% déclarent qu’ils continueraient à travailler même s’ils n’en avaient plus financièrement besoin.

Quelle corrélation entre ambition et choix professionnels ?

Davantage que les autres générations, le premier critère pour choisir un emploi est la possibilité d’agir sur des sujets qui tiennent à cœur : 28% des jeunes de 15 à 30 ans le priorisent, contre 14% des plus de 30 ans. Mais dans les faits, des disparités existent entre les jeunes. Ainsi, 31% des cadres en tiendraient compte en priorité, contre 24% des employés et seulement 19% des ouvriers. La journaliste Salomé Saqué l’explique dans son ouvrage “Sois jeune et tais-toi” (2022) : “seuls ceux qui sont les plus dotés socialement – et parmi eux les détenteurs de CDI à plein temps – peuvent se permettre une réflexion politique autour du choix de leur emploi : le souhait d’exercer une profession qui puisse contribuer à l’amélioration de la société reste un luxe”. Ainsi, les jeunes issus de milieux modestes, ou les travailleurs moins qualifiés, n’ont pas nécessairement moins d’aspirations, mais des aspirations différentes, souvent plus concrètes, territorialisées et de proximité, tournées vers leur stabilité financière et la pérennité de leur emploi.

Par ailleurs, les choix professionnels des jeunes actifs s’expliquent par l’état actuel du monde du travail : alors que leurs aînés pouvaient passer 40 ans dans la même activité ou dans la même entreprise, aujourd’hui un jeune sur trois pense que son métier va disparaître d’ici la fin de sa carrière. 58% des jeunes pensent qu’ils connaîtront des périodes de chômage au moins une fois dans leur vie, contre 42% des plus de 30 ans. Là non plus, les inquiétudes ne sont pas les mêmes selon la catégorie socio-professionnelle : les employés, les salariés en CDD et ceux à temps partiel se disent plus concernés que les professions intermédiaires ou les cadres. Ainsi, si la presse prend souvent l’exemple de ces jeunes qui refusent un CDI pour aller voyager, et que les jeunes sont plus nombreux à souhaiter devenir indépendants que les autres actifs, ils restent 60% à privilégier le CDI plutôt que le CDD. Ce chiffre grimpe chez les jeunes parents, ce qui laisse penser que la stabilité financière demeure un repère majeur.

Quelles sont leurs attentes d’organisation du travail ?

En ce qui concerne le quotidien de leur travail, il est souvent reproché aux jeunes de n’être jamais contents et désinvestis. Pourtant, d’après le Club Landoy, “s’ils expriment souvent une forme d’insatisfaction professionnelle, ce n’est pas parce qu’ils souhaitent s’en éloigner, mais parce qu’ils attendent beaucoup”. Ils en attendent beaucoup justement parce que le travail reste pour eux un vecteur d’autonomie et d’accomplissement. Ils y attachent encore beaucoup d’importance : selon Olivier Galland, en France, et notamment chez les jeunes, “la satisfaction de la vie est étroitement corrélée à la satisfaction au travail”. D’où leur exigence envers un travail qui répond à leurs attentes, et une déception lorsqu’un décalage se crée entre les attentes et le vécu.

Là encore, cet argument est à nuancer en fonction des profils : les plus diplômés perçoivent davantage un écart entre leurs attentes et la réalité du monde professionnel que les autres. Un fait qui n’est pas étonnant quand on sait que les jeunes cadres considèrent plus souvent le travail comme un moyen de s’épanouir (31% contre 25% des ouvriers et 27% des employés), tandis qu’à l’inverse, les jeunes ouvriers et employés sont plus nombreux à le percevoir comme un moyen de gagner sa vie (respectivement 66 et 61% contre 53% pour les cadres).

Enfin, le cas du télétravail est intéressant à analyser. Si le télétravail était pratiqué par 22% de la population française au début de l’année 2024, contrairement aux idées reçues, les jeunes n’en sont pas plus friands que les autres. Beaucoup d’entre eux ont vécu leurs premières expériences professionnelles pendant les confinements, comme Fanny, qui témoigne pour Les Echos : “j’étais toute la journée chez moi, j’avais l’impression de ne rien vivre, de ne rien faire”. D’autant plus que, la plupart du temps, les jeunes ont moins d’espace que leurs aînés pour travailler chez eux. Ainsi, les jeunes de 25 à 29 ans ont 1,6% de probabilités en moins de faire du télétravail que les travailleurs de 30 à 34 ans, contre 1,1% pour les 40-44 ans par exemple. Mathilde Le Coz, DRH de Forvis Mazars, témoigne : “ils aiment travailler ensemble, en restant entourés de leurs collègues”.

Mais surtout, la jeunesse ne forme pas un bloc uniforme en rupture avec les autres actifs. Derrière l’image simplifiée d’une jeunesse désabusée, en perte de sens et désinvestie – souvent tirée des plus diplômés – se cache une pluralité de rapports au travail, étroitement liée à la situation économique, au type de poste, aux conditions de vie et aux aspirations personnelles. Le paradoxe de la jeunesse réside tout de même dans le fait que, alors que le travail occupe une place moins centrale pour elle, elle en attend beaucoup. Il est de la responsabilité des entreprises et de tous les employés d’en percevoir les spécificités et de créer un monde du travail qui concilie performance économique et attentes générationnelles.

> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Les jeunes au travail, une génération mal jugée ?Entre école et monde du travail : quelle place pour les jeunes diplômés ?