
3 questions à… Olivier Galland, sociologue
Olivier Galland est sociologue spécialiste de la jeunesse et directeur de recherche émérite au CNRS. Il répond aux 3 questions de la Fondation Travailler autrement sur la jeunesse au travail.
Dans votre étude Les jeunes et le travail : aspirations et désillusions des 16-30 ans publiée en avril 2025 avec l’Institut Montaigne, vous soulignez qu’il n’existe pas une mais plusieurs jeunesses. Quelles sont-elles, et en quoi leurs rapports au travail diffèrent-ils ?
Comme sur tous les sujets de société, les jeunes ne partagent pas tous les mêmes idées et les mêmes aspirations. Nous l’avons à nouveau vérifié dans notre étude sur les jeunes et le travail. En premier lieu, les aspirations au travail sont extrêmement corrélées au niveau de diplôme. Plus ce niveau est élevé plus les attentes le sont également et ceci se vérifie non seulement en ce qui concerne le salaire et le niveau de qualification, ce qui paraît logique, mais également tous les aspects concernant la vie au travail, y compris des aspects très qualitatifs comme l’intérêt du travail, la demande d’autonomie dans le travail, la question des horaires de travail, tout ce qui concerne la qualité de vie au travail. En moyenne plus le niveau de diplôme est bas plus ces attentes sont faibles.
Cela a des conséquences importantes sur la satisfaction au travail : contrairement à ce qu’on pourrait attendre, le niveau de satisfaction ne croît pas systématiquement avec le niveau de qualification de l’emploi, car plus le niveau de qualification est élevé plus les attentes le sont aussi et plus grand est le risque de décalage entre ces attentes et la réalité de l’emploi occupé. Le cas le plus symptomatique est celui des diplômés en lettres et SHS : ils ont des attentes élevées mais les emplois qu’ils occupent, bien souvent, ne satisfont pas ces attentes, alors qu’à l’inverse les jeunes sans diplômes ont des attentes très basses et ressentent peu de frustrations lorsqu’ils occupent un emploi.
Mais il y a quand même des exceptions à cette règle de non corrélation entre niveau de qualification et satisfaction du travail. Lorsqu’on prend en compte non seulement le niveau de diplôme mais également la spécialité de formation, on constate que dans les filières professionnelles, les diplômés du secteur des services ont des attentes nettement plus élevées que ceux qui sont diplômés dans le secteur de la production. Les premiers sont aussi beaucoup plus souvent des jeunes femmes et les seconds des jeunes hommes. Apparait ainsi un clivage entre le secteur des services et notamment des services à la personne (secteur en grande expansion) et le secteur industriel. C’est dans le premier qu’apparaissent de nouvelles aspirations des jeunes à l’égard du travail concernant principalement la qualité de vie au travail. La question du stress, si présente dans ces métiers de rapport avec le public, devient un enjeu central ; celle de l’équilibre entre temps de travail et temps de vie personnelle l’est aussi. Bien sûr la question du niveau de rémunération reste en tête des attentes des jeunes, mais juste après c’est bien cette question de la qualité de vie au travail qui s’impose comme une préoccupation majeure des jeunes.
Or c’est bien sur ces aspects de qualité de vie au travail que les jeunes ressentent le plus de frustrations professionnelles (après la question de la rémunération), c’est-à-dire un décalage entre leurs attentes et la réalité de l’emploi qu’ils occupent. Trois catégories de jeunes les ressentent plus particulièrement : les diplômés du supérieur dans le domaine des lettres-SHS, les diplômés des filières professionnelles courtes dans le domaine des services et d’une manière générale les jeunes femmes les ressentent beaucoup plus fortement que les jeunes hommes.
À chaque nouvelle génération revient l’idée qu’elle serait « moins bien » que la précédente. Et en effet, les jeunes d’aujourd’hui sont régulièrement jugés moins investis et moins respectueux de leur hiérarchie. D’où viennent ces critiques récurrentes et pourquoi persistent-elles autant ?
De tout temps, dans l’ancienne France comme aujourd’hui, les jeunes ont fait l’objet de critiques qui sont toujours à peu près les mêmes et qui tournent autour de la question de leur irresponsabilité supposée. Cette vision assez négative de la jeunesse est le propre des sociétés méditerranéennes, patriarcales et gérontocratiques, ce qui a longtemps caractérisé la société française qui était dans l’ancien temps régie par le droit romain et la patria postestas (la puissance paternelle qui donnait tous les droits au père sur ses enfants y compris celui des les faire enfermer s’ils se rebellaient). Ce système ne régit évidemment plus les rapports de génération, mais il reste en France un état d’esprit moins favorable à la jeunesse, moins confiant dans ses capacités que dans les sociétés nordiques qui ont un rapport beaucoup plus positif à l’égard des jeunes et qui valorisent plus leur autonomie et leur prise de responsabilité. Ainsi le management à la française est plus vertical et moins participatif.
Aujourd’hui, qu’attendent, d’une part, les jeunes du monde du travail ? Et, d’autre part, que recherchent les employeurs chez les jeunes ? Observe-t-on un décalage entre les aspirations des uns et des autres ?
Comme on l’a vu précédemment, la qualité de vie au travail est une des préoccupations essentielles des jeunes. Or, un tiers des jeunes travailleurs interrogés dans notre enquête pensent que leur entreprise ne fait pas les efforts suffisants pour assurer leur bien-être au travail notamment sur la question du stress, de la reconnaissance de leur travail et de leur autonomie dans la gestion de leur travail et de leurs horaires.
A côté de jeunes bien intégrés dans l’emploi et satisfaits de leur travail (« satisfaits stables »et « satisfaits mobiles », qui représentent un petit tiers du total), une large partie des jeunes (48%) ressentent de la frustration, de la résignation ou du fatalisme tandis que d’autres (20%), tout en étant relativement satisfaits de leur emploi, vivent mal le rapport à l’autorité hiérarchique dans l’entreprise. Il y a donc certainement beaucoup à faire dans la qualité du management pour réduire les frustrations et les attentes déçues d’une partie de la jeunesse.
> Olivier Galland est sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste des questions de jeunesse, il a également travaillé sur les inégalités et la sociologie des valeurs. Il a récemment publié aux Presse de Sciences-Po (2025), Les valeurs du travail. Contrastes et évolutions dans les pays développés.
> A lire également sur le site de la Fondation Travailler autrement : Derrière l’expression « la jeunesse », une pluralité de rapports au travail, Entre école et monde du travail : quelle place pour les jeunes diplômés ?