
Le travail de demain se pense aujourd’hui !
Muriel Pénicaud, ancienne ministre du Travail et de l’Emploi, s’est associée au journaliste Mathieu Charrier et à l’auteur de bande dessinée Nicoby pour explorer dans une BD passionnante le travail de demain. Le récit nous fait suivre Soraya, une lycéenne qui se rend au pot de départ de sa grand-mère Cathy et en profite pour préparer son exposé sur “le futur du travail” en interrogeant des experts incontournables du sujet.
13 personnalités et autant de points de vue différents
7 femmes et 6 hommes prennent la parole pour aborder les sujets d’aujourd’hui qui impacteront le monde de demain et notamment : quelle place pour l’intelligence artificielle ? Quelle évolution pour les syndicats et pour l’organisation du travail ? Comment concilier productivité et attentes des jeunes, face à des transitions démographique et écologique sans précédent ? Pourquoi a-t-on du mal à recruter dans certains secteurs ? Quels combats sont encore à mener pour atteindre l’égalité femmes-hommes ? Comment permettre aux collaborateurs de trouver du sens au travail ?
Chacun leur tour – et parfois en confrontant les points de vue, mais sans animosité – ils livrent de manière très pédagogique leurs inquiétudes, leurs bonnes pratiques et recommandations sur le monde de l’entreprise. L’ouvrage prend volontiers un ton léger et humoristique pour traiter de sujets sérieux, toujours illustrés de manière concrète et bienveillante. Le choix original de la BD permet au lecteur de suivre sans mal les propos parfois techniques, et rend le projet plus humain.
Une société en mutation : place aux jeunes, au sens au travail, et à l’inclusion
Les jeunes occupent une place centrale dans l’ouvrage. Plusieurs personnalités confirment que la vision du travail est très différente pour les jeunes aujourd’hui : la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, Christine Lagarde (présidente de la BCE) et Philippe Martinez parlent d’un besoin d’équilibre avec la vie personnelle et d’une quête de sens importante. La magistrate et ancienne ministre à l’égalité, Isabelle Rome, démonte quant à elle le cliché selon lequel les jeunes ne souhaitent plus travailler (p.75). Des conseils leur sont donnés : l’auteure et comédienne Rachel Khan invite ainsi Soraya à se demander “Qu’est-ce tu veux dans la vie ?” (p.48), tandis que Moussa Camara, le fondateur de l’association Les Déterminés, dévoile 3 conseils primordiaux (p.128). Philippe Martinez lance même, avant de s’éclipser : “Prenez le pouvoir, vous les jeunes !” (p.43).
Certains propos tournent à une responsabilisation excessive, mais sont vite retoqués par Jasmine Manet, la cofondatrice de Youth Forever. De fait, quand la grand-mère de Soraya annonce que son entreprise a monté un groupe de jeunes managers pour réfléchir à la politique RSE, l’entrepreneure rétorque : “C’est vous qui êtes encore au pouvoir, c’est à vous d’instituer ce changement !” (p.62). Avec la lycéenne, elles reprennent justement leur auditoire pour leur insuffler l’idée que le changement ne doit pas attendre l’arrivée des jeunes, qui eux, se sentent aujourd’hui souvent impuissants.
L’ouvrage annonce également la couleur : le travail de demain sera inclusif. En témoigne le chef étoilé Thierry Marx, accompagné par des élèves de son école “Cuisine mode d’emploi(s)”, qui forme gratuitement des stagiaires en grande précarité, des migrants, des ex-drogués ou prisonniers (p.103). Moussa Camara présente quant à lui son association “Les Déterminés” (p.123) qui aide les jeunes des quartiers prioritaires et zones rurales à fonder leur entreprise ou retrouver un emploi. “Tu vois, pour moi l’avenir du travail il passe aussi par toutes ces petites structures” (p.127). Isabelle Rome a également profité de l’ouvrage pour alerter Soraya sur les biais genrés et rappeler les avancées permises par les lois Copé-Zimmermann, tout en soulignant l’importance des gestes du quotidien comme refuser de “rigoler de la blague salace” du collègue (p.70).
Des exemples et des bonnes pratiques inspirantes pour imaginer le travail de demain
Si en fin de compte, l’ouvrage n’apporte pas de réflexion nouvelle sur les enjeux du travail de demain, il s’appuie sur des exemples pertinents qui rendent concrètes les discussions.
Concernant le numérique – et notamment l’IA – Aurélie Jean précise qu’elle ne croit pas “à la substitution complète des métiers” (p.17), elle voit davantage l’intelligence artificielle comme une aide apportée aux travailleurs, comme à Montréal où les robots assistent les aide-soignants dans leurs tâches, leur permettant de “redonner du temps à l’humain” (p.22). La PDG de Sodexo Sophie Bellon présente quant à elle à Soraya un algorithme utilisé par ses chefs pour ajuster les quantités de nourriture en fonction des prévisions de fréquentation des restaurants et éviter ainsi le gaspillage alimentaire (p.37).
Certains présentent l’adaptation de leurs entreprises aux transformations économiques et sociales : Benoît Bazin évoque le chantier de la rénovation énergétique des bâtiments, en rappelant que la construction consomme 50% des ressources de la planète (p.51). Thierry Marx aborde les pénuries de main-d’œuvre dans l’hôtellerie-restauration et l’ubérisation, en dialoguant avec Maxime, qui souhaite garder le statut d’auto-entrepreneur pour avoir moins de charges, même s’il y perd en protection sociale (p.105). T. Marx propose plusieurs pistes pour rendre ces métiers attractifs (p.110).
L’ouvrage fait également le pari qu’il faudra recréer du collectif. Alors que Marylise Léon parle d’une nécessité de réinventer le syndicalisme pour s’adapter aux jeunes (p.101), Ron Oswald, ancien secrétaire général à l’UITA, emmène Soraya rencontrer Reema Nanavaty, une agricultrice indienne qui a participé à la création de la Self Employed Women Association (SEWA). Selon lui, l’avenir du travail passera par une meilleure organisation des salariés entre eux (p.84). Pour Pascal Demurger, DG de la MAIF, c’est le management qui devra se transformer : il expose l’exemple de sa société d’assurance qui a mis en place un management de la confiance qui passe par le sens au travail et la bienveillance. Résultat : en 18 mois, la MAIF a vu une baisse de l’absentéisme de 25% (p.117).
Cette bande dessinée réussit ainsi le pari de rendre concrets et humains les grands enjeux du travail de demain, en montrant que chacun, à son échelle, peut et doit être acteur de la transformation.
La citation : “Le travail de demain sera démocratique ou il ne sera pas !” – Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT.