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4 questions à Sophie Cluzel, Présidente fondatrice de SC Conseil

Ancienne Ministre chargée des Personnes handicapées de 2017 à 2022, Sophie Cluzel est Présidente fondatrice de SC Conseil, conseil en stratégie sociale et RSE depuis 2022. Mère, femme politique et entrepreneuse, elle place au cœur de ses activités l’inclusion du handicap, puisqu’elle a fondé plusieurs associations entre 1995 et 2017 sur la scolarisation et l’insertion des personnes handicapées. Officier de la Légion d’Honneur, Sophie Cluzel s’est vue décerner le titre de Ministre de l’année en 2021 par le Prix du Trombinoscope. En 2022, elle a publié l’ouvrage « La force des différents : changer de regard sur le handicap ». Elle répond aux questions de la Fondation Travailler autrement sur le handicap au travail.

Dans une société qui se veut plus inclusive, qu’en est-il de la place du handicap dans les sphères publique et professionnelle ?

Le handicap est mieux pris en compte dans ces sphères en France, historiquement basée sur une politique de non-discrimination et depuis 2017 dans une optique d’inclusion. Les politiques publiques et les entreprises ont ainsi progressivement mis en place des mesures pour favoriser l’emploi et l’intégration des personnes en situation de handicap. Les entreprises s’en sont emparées notamment avec les initiatives lancées comme le manifeste inclusion ou le Duoday… mais également les médias avec la charte d’engagement pour améliorer la représentation des personnes handicapées.

C’est pour cela que je me suis attelée dès 2017 à donner la parole aux personnes handicapées. J’ai souhaité travailler à une meilleure prise en compte des attentes des personnes elles-mêmes qui sont souvent historiquement représentées par les associations de familles ou des associations gestionnaires d’établissements médico sociaux au sein de leur parlement, le Conseil National Consultatif des Personnes handicapées (CNCPH) qui souhaite aujourd’hui aller encore plus loin et tant mieux.. Et, oui il faut encore améliorer la représentation des personnes handicapées dans les instances politiques, syndicales, les partis, les administrations les associations de parents d’élèves…

Mais il faut aussi que les personnes osent et se présentent aux différentes élections. Il convient donc d’améliorer l’accompagnement des personnes handicapées dans leur capacité à exprimer leurs attentes et leurs choix ; c’est pour cela que j’ai soutenu le projet Epop porté par des associations pour travailler à la prise de confiance et à l’autodétermination des personnes.

Tous ensemble, nous devons voir les personnes handicapées non plus comme des objets de soin mais comme des sujets de droits.

 

Souvent stigmatisées, les personnes en situation de handicap ont tendance à s’auto-censurer dans leurs recherches d’emploi ou à dissimuler leur handicap au travail, comment lutter contre ces phénomènes ?

Vrai sujet que celui de la libération de la parole, comment mettre en confiance la personne et le recruteur pour aborder ce sujet, surtout si le handicap est invisible ? Comment faire prendre conscience au grand public que les personnes en situation de handicap veulent vivre leur vie de citoyen comme tout un chacun et donc accéder au travail ? Pour lutter contre ces situations, il convient de :

  • Sensibiliser les employeurs et les salariés aux enjeux de l’inclusion des personnes en situation de handicap et lutter contre les préjugés et les stéréotypes. Des actions de sensibilisation peuvent être mises en place, telles que des formations ou des campagnes de communication. J’ai beaucoup travaillé avec les employeurs pour passer de l’obligation à l’envie. Ils se sont ainsi mobilisés à travers le Manifeste Inclusion signé en 2019 par plus de 140 entreprises, avec 10 engagements simples et pragmatiques. Cette dynamique perdure et s’amplifie. La formation des référents Handicaps est indispensable pour que ce levier en entreprise joue son rôle de conseiller, d’accompagnement et de déploiement de la politique handicap. De manière générale, les recruteurs doivent tous se former pour déconstruire les biais et préjugés et ainsi libérer la parole des salariés et des recrutés.
  • Redonner confiance aux personnes handicapées, leur simplifier la vie et les informer : droits à vie pour alléger la pression administrative, automatisation de la RQTH pour les jeunes handicapés, travailler sur l’accès à la validation des compétences, améliorer l’accès aux études supérieures sont autant d’axes à prioriser
  • Faciliter l’information des candidats : en situation de handicap ils doivent avoir accès à une information claire et précise sur les possibilités d’aménagement de poste, les aides et les dispositifs d’accompagnement existants. Les sites internet des entreprises et des organismes de recherche d’emploi doivent offrir une information facilement accessible et compréhensible.

En conclusion, il est indispensable d’encourager la transparence sur le handicap !

 

Lorsque vous étiez Secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargée des Personnes Handicapées, vous avez mis en place le Duoday, une journée à l’occasion de laquelle un employeur accueille une personne handicapée et lui fait découvrir son métier. En quoi cette initiative peut-elle faire changer le regard sur le handicap au travail ?

C’est une grande fierté d’avoir créé le Duoday qui en 5 ans est passé de 1 000 Duos  à  30 000 par l’implication des plus hautes autorités de l’État , du Président de la République à l’ensemble du gouvernement, des administrations aux entreprises, du monde de la culture et du sport au monde des médias. Aujourd’hui le Duoday est un des moteurs de l’amélioration indéniable de l’emploi des personnes handicapées. Le taux de chômage est passé de 19% en 2017 à 13 % soit une baisse de 30 % et ce non pas par de contraintes supplémentaires, mais par une envie positive. Je rappelle qu’aux États-Unis le taux de chômage des personnes handicapées est de près de 50 %, cela montre qu’en France une réelle dynamique est là. De plus, rappelons que près de 20 % des duos débouchent sur un emploi. 5 ans après c’est donc un vrai levier de sourcing et de sensibilisation pour beaucoup d’entreprises, ainsi que de découverte de nouveaux métiers pour les personnes handicapées, qui souvent ne se sentent pas encore légitimes à aller vers de nouveaux parcours professionnels… Au-delà du Duoday, l’accompagnement financier de l’apprentissage, les dispositifs 1 jeune 1 solution, le développement de l’emploi accompagné auquel je crois beaucoup, les référents handicaps dans les entreprises, le manifeste inclusion…. ont tous contribué à cette amélioration. Cette démarche d’emploi forte est très importante pour 2 raisons, d’abord c’est le meilleur vecteur d’intégration des personnes dans la société, mais aussi pour la société dans son ensemble le meilleur vecteur de reconnaissance des différences, surtout en cette période de tension de recrutement.

 

Depuis Presque 1 an vous n’êtes plus en charge de cette politique, mais quels sont les impératifs à prendre en compte pour accélérer cette politique ?

Durant 5 ans j’ai porté une politique que j’ai souhaité pragmatique et constructive, mais aussi interministérielle afin que les attentes et les besoins des personnes en situation de handicap soient pris en compte dans tous les sujets de la société.

Ce qui m’a permis de mener 6 Comités interministériel sous l’égide des Premiers ministres , que chaque ministre ayant nommé chacun un Haut fonctionnaire au handicap et à l’inclusion bâtisse sa feuille de route. Parallèlement des sous-préfets à l’inclusion ont été nommés dans chaque département , et un travail étroit avec les élus locaux mobilisés car ils sont responsables de la politique de solidarité dans les  territoires.

Cela a été la politique du « y compris » et non plus du spécifique « à part », depuis la crèche en passant par l’école, l’emploi, le logement (habitat inclusif) la culture le sport … trop souvent c’était l’affaire de spécialistes  et donc de dispositifs spécialisés. Nous avons la chance en France d’avoir un tissu associatif, d’experts qui doivent se mettre encore plus au service de la transformation de l’environnement quotidien pour que cette société fasse toute sa place sa juste place aux personnes en situation de handicap.

Il faut revenir au rattachement de cette politique auprès du Premier ministre au même titre que la cause de l’égalité Femmes Hommes car le sujet du handicap n’est pas un sujet  de solidarité c’est un sujet de société.

 

> Aller plus loin sur le site de la Fondation Travailler autrement : Inclusion des travailleurs handicapés : soyons optimistes !, Handicap : quelles leçons tirer du passé ?