3 questions à… Patrick Levy-Waitz, président de la Fondation Travailler autrement et de France Tiers Lieux
Le rapport de France Tiers lieux remis le vendredi 27 aout 2021 au Premier Ministre, « Nos territoires en action. Dans les tiers-lieux se fabrique notre avenir ! » témoigne des transformations du travail à l’œuvre dans les territoires. Catalyseurs de développement économique, creusets de l’action territoriale des entreprises, créateurs d’emplois directs et indirects, accompagnateurs de l’insertion par l’activité, les tiers lieux sont de réels outils pour le travail et l’emploi. Patrick Levy-Waitz, président de la Fondation Travailler autrement et de l’association France tiers lieux a répondu à nos questions sur la place du « travailler autrement » dans ces lieux atypiques.
En quoi les tiers lieux participent au “Travailler autrement” ?
Le “travailler autrement” n’est pas simplement une question de management. C’est aussi une philosophie, une nouvelle façon de penser, de vivre et d’appréhender son travail.
Ce travailler autrement est caractérisé par un important mouvement de départ de populations des métropoles pour aller vivre dans des villes moyennes, par la capacité de pouvoir effectuer une grande partie de son métier n’importe où et n’importe quand et enfin, par l’aspiration à une bonne qualité de vie au travail (le besoin de sens, d’équilibre privé-professionnel, de bien-être et de collectif). De plus, les évolutions sociétales et technologiques de ces vingt dernières années, marquées par la révolution numérique, ont conduit à rendre le travail plus nomade et ont transformé les façons de travailler.
La crise du covid a accéléré ces mouvements. Les actifs ont pris conscience qu’il y a une forme d’ineptie à s’infliger le stress du trajet domicile-travail alors qu’ils peuvent réaliser une grande partie de leur travail à distance. La société doit se réorganiser avec cette nouvelle donne et les tiers lieux sont le creuset de cette transformation car ils sont nés de la transformation du travail.
Ils sont autant de laboratoires de redynamisation correspondants aux besoins spécifiques de chaque actifs (salariés comme créateurs d’entreprise), entreprises, prescripteurs de l’emploi,… Ils naissent d’une volonté d’entreprendre localement autour de l’entraide et d’une mutualisation entre pairs. Il s’y inventent des modèles économiques hybrides, qui visent l’autonomie financière par des revenus divers (services, formation, loyers, restauration, subventions, prototypage…).
Quelles sont les principales recommandations du rapport en matière de travail et d’emploi ?
Dans le rapport « Nos territoires en action. Dans les tiers-lieux se fabrique notre avenir ! », nous avons mis en lumière la proposition de la Fondation Travailler autrement de création d’un chèque bureau universel. Ce dispositif doit permettre aux salariés de travailler hors de leur bureau, dans des espaces-types, financés par l’Etat, les collectivités locales et les employeurs. Ainsi, le salarié peut occuper un poste de travail à proximité de son logement comme un poste flexible dans un tiers-lieu, dans des conditions saines et sereines de travail. C’est un outil de flexibilisation des modes de travail et d’optimisation des charges locatives de bureau. Il permet une souplesse dans l’organisation du travail encadrée par la loi et prévue par les conventions professionnelles.
Nous avons également formulé une recommandation en faveur du développement de la formation professionnelle dans les tiers lieux. Peu de tiers-lieux sont agréés comme organismes de formation en raison de la lourdeur des démarches administratives. D’autres voies sont à inventer pour que les tiers-lieux acteurs de formation puissent bénéficier de financements des OPCO et de la formation professionnelle. Il est essentiel de reconnaître, évaluer et valoriser les formes innovantes de formation en tiers-lieux : apprentissage par le faire, acquisition de savoir-être, formation entre pairs… les parcours pédagogiques au sein des tiers-lieux déconstruisent les formes traditionnelles d’apprentissage descendant pour faire de l’apprenant l’acteur de son parcours.
Les tiers lieux sont-ils vraiment créateurs d’emploi sur le territoire ?
La principale caractéristique des tiers-lieux est leur capacité à créer les conditions favorables au développement d’activités économiques, y compris dans les territoires les plus reculés. Les espaces de travail partagés – 75% des tiers-lieux ont des activités de coworking – et leur animation facilite les rencontres entre coworkers, les coopérations économiques et les partenariats territoriaux entre une diversité d’acteurs : indépendants, TPE, PME, startups, associations, institutions publiques, grandes entreprises… Entre 100 000 et 150 000 personnes travaillent quotidiennement dans un tiers-lieu et plus de 2 millions de personnes y sont venues pour travailler ou faire des activités en 2019.
Nombre d’entre eux accueillent des incubateurs – 20% des tiers-lieux – ou accompagnent leurs membres dans la création de leur entreprise : les créateurs d’entreprise font partie des principaux publics pour 54% des tiers-lieux. Nous pouvons ainsi citer la Halle Tropisme à Montpellier qui accompagne des porteurs de projet dans le secteur culturel, Les Ecossolies à Nantes, qui disposent d’un accélérateur pour aider au changement d’échelle des entreprises de l’ESS ou encore ICI Montreuil qui compte, depuis son ouverture fin 2012, un total de 750 emplois, entrepreneurs ou artisans qui ont profité du tiers-lieu pour créer ou développer leurs activités.
Ils sont à l’origine de dynamiques de coopérations favorables à la création d’activités économiques, dans des secteurs innovants et d’avenir, tels que le réemploi, les circuits courts, l’alimentation durable, les nouvelles mobilités, l’innovation sociale…
Ils participent à l’animation de véritables écosystèmes professionnels par l’organisation d’évènements, et de débats, par la mise à disposition de temps et d’espaces pour faire ensemble. Ils constituent des lieux ressources pour les acteurs économiques, en recréant du dynamisme et en offrant de nouvelles opportunités, en particulier dans des territoires reculés.
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