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Les zones grises du travail

Le dictionnaire, « Les zones grises des relations de travail et d’emploi. Un dictionnaire sociologique » (Bureau et al. –Dir., 2019) apporte une aide précieuse pour mieux caractériser « les zones grises » du travail, fruit d’une hybridation des politiques d’emploi et des régulations individuelles et collectives. 

L’émergence de nouvelles formes de relation de travail

Les bouleversements du marché du travail et de l’emploi ont conduit, depuis une vingtaine d’années, à un affaiblissement des grilles de lecture qui permettaient, de comprendre les réalités sociales auxquelles le travailleur contemporain faisait face dans son quotidien. Les catégories et normes du salariat classiques ne suffisent plus à mettre du sens aux nouvelles manière de faire travail dans des statuts hybrides et des conditions d’exécution renouvelées.

Depuis le début du 21ème siècle, nous assistons à des recompositions majeures, ayant conduit à l’émergence de nouvelles formes de relation de travail, qu’elles soient salariales ou en dehors du hors cadre du salariat classique. Dès lors, il s’est avéré de plus en plus difficile de dessiner les frontières de ces nouvelles formes d’emploi. Pour autant, il est possible de remonter à l’origine de ces recompositions et d’analyser leurs processus actuels. Il s’agit là de l’ambition inédite, ouverte et participative de ce dictionnaire sociologique portant sur les zones grises des relations de travail et d’emploi. 

Une reconfiguration politique du travail

Les années 2000 ont été profondément marquées par une reconfiguration politique du travail due à plusieurs phénomènes : 

  • Le mouvement de digitalisation de différentes sphères de la société (et la naissance de l’économie de plateformes) ;
  • La remise en cause du salariat (son désenchantement et l’aspiration à une quête de sens) ; 
  • La transformation des frontières de l’entreprise et de la structuration interne de pouvoir ;
  • La mondialisation et la mise en concurrence du travail à l’échelle internationale.

Les bouleversements que connait le monde du travail constituent non seulement la résultante de tensions globales du système capitaliste, mais également le témoin d’un virage socioculturel en lien avec la centralité du travail dans la vie de l’individu contemporain.

Si la fin du travail était annoncée il y a une trentaine d’années par les discours catastrophistes portant sur les dérives de l’innovation technologique et de la robotisation, l’application de cette prophétie n’est finalement pas pour aujourd’hui. En effet, nous assistons plutôt à la difficulté de catégoriser un pan de l’activité humaine à partir de catégories solidement héritées de l’univers du salariat, où émergerait la nécessité de consolider de nouvelles grilles d’analyse pour les saisir et susciter un débat. Justement, tout l’intérêt de ce dictionnaire sociologique consiste à mettre à disposition un travail d’analyse des recompositions des normes du travail et de l’emploi.

Le concept de « zone grise »

La notion de « zone grise » a fait son apparition dans les années 2000, en même temps que le nomadisme technologique, et ce terme s’est peu à peu diffusé en sciences sociales tout comme dans les médias de masse. Cet espace sibyllin est qualifié de grisé dans le sens où il est le fruit de reconfigurations multiples, résultant de régulations du monde du travail et des logiques de marché, solidement forgées depuis le 19ème siècle. La perspective de ces zones grises donne à penser de nouvelles façons de considérer les mutations du travail et de l’emploi, et ce à l’aune de l’insuffisance des grilles de lectures relevant du salariat classique. Les catégorisations héritées du salariat ne permettant pas, en effet, de saisir les transformations auxquelles nous assistons depuis une vingtaine d’années.

 « Le débat chez les géopoliticiens interpelle les sciences sociales du travail en ce qu’il soulève une question majeure : les zones grises sont-elles des zones sans loi, sans maître ni dieu, ou bien des zones de non-droit, fabriquées de fait par les institutions étatiques et supranationales et l’incohérence générée par leurs interactions ? »

Le concept de « zone grise » comporte, en premier lieu, une dimension fondamentalement heuristique, puisqu’il offre l’opportunité d’investiguer l’amenuisement des catégories binaires du travail et de l’emploi (indépendant / salarié ; emploi / chômage etc.) et plus largement les grandes classifications normées issues du fordisme. Redessiner les contours de ces catégories et en esquisser de nouvelles représente une action importante : elle permet en effet de donner du sens aux réalités sociales du travail et de l’emploi, en tant que véritables catégories d’entendement. 

Un dictionnaire riche, complet et numérique

Ce dictionnaire sociologique offre l’opportunité, dans une perspective internationale, nourrie d’exemples du Nord au Sud, de : 

  • Mettre à disposition du lecteur un lexique d’analyse du travail et de ses régulations de tout ordre ; 
  • De proposer des clés pour le développement d’une pensée critique des catégories héritées jusqu’alors ;
  • De saisir les régulations, les catégories mobilisées mais encore l’orientation et la contextualisation des politiques du travail qui changent sous nos yeux.

Le « portage salarial » ne constitue pas une entrée dans le dictionnaire, mais il est diffus comme statut d’emploi dans les catégories suivantes : « auto-entrepreneur.e.s » (positionnement opposé), « entrepreneur-salarié » (différence avec les CAE), « hybridation » (enchevêtrement des formes de formes et contrats de travail), « paradigmes de l’emploi » (tierce partie employeur), « pluriactivité » (protection sociale liée au portage), « traductrices et traducteurs » (choix du statut), ou encore « travail indépendant » (le portage comme sécurisation juridique et économique).

Enfin, le format numérique de ce dictionnaire a été choisi volontairement par les auteurs pour laisser libre cours à des actualisations et des ouvertures au dialogue avec le public de lecteurs et des communautés qui pensent et animent le champ des zones grises des relations de travail et d’emploi. 

> lien pour consulter ou télécharger le document 

> liens internes vers des articles sur le site de la Fondation, Rapport – La diversité des formes d’emploi (Bernard Gazier – CNIS)