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Le maintien dans l’emploi des seniors, l’enjeu oublié de la réforme des retraites

Dans cet article de The Conversation, Jean-Pierre Dumazert, Professeur de Management, Excelia Group – UGEI explique pourquoi, depuis les annonces des grandes lignes du projet de réforme des retraites par le premier ministre Édouard Philippe le 11 décembre dernier, la question de l’âge pivot (rebaptisé « âge d’équilibre ») déchaîne les foudres des syndicats, y compris celles des organisations réformistes comme la CFDT. Cet âge pivot, à partir duquel les retraités pourront bénéficier d’une retraite à taux plein, pourrait être fixée à 64 ans à partir de 2027. Le gouvernement le définit comme un point d’équilibre dans le dispositif des retraites. Il ne constitue toutefois pas une révolution sur l’âge du départ, actuellement autour de 63,5 années, hommes et femmes confondus.

Le débat sur l’âge réel de départ ne devrait donc pas se situer sur une valeur précise, mais bien sur une réflexion autour d’une possibilité de départ avec des conditions acceptables pour chacun. Sur ce point, tout le monde a saisi également que nous aurons à travailler plus longtemps.

Les annonces clés d’Édouard Philippe sur la réforme des retraites (Les Échos, 11 décembre 2019).

Or, une fois ce constat posé, qu’en est-il vraiment ? Car travailler un plus grand nombre d’années implique inévitablement de rester en emploi afin de compter parmi les 26,9 millions d’actifs de ce pays (hors 2,8 millions de personnes au chômage). Le maintien en activité reste ainsi l’option la plus intéressante pour les seniors s’ils veulent bénéficier d’une retraite à taux plein.

Déficit démographique

Cependant, la France est-elle en capacité de maintenir en emploi tous ses actifs jusqu’au terme d’une retraite à taux plein ? Une observation pourrait sembler apporter une réponse prometteuse. D’après l’Insee, la population de seniors va fortement augmenter, alors que dans le même temps, celle des actifs entre 25-65 ans va diminuer.

Ainsi en 2050, les personnes de plus de 65 ans devraient représenter 20 millions d’habitants sur les 74 millions que comptera le pays. Par glissement au fil des années, on pourrait donc penser que les seniors vont occuper les postes qu’un déficit de 600 000 actifs laissera. Bien entendu, aucune raison de se réjouir, il s’agit là d’une vision trop généraliste.

Des dispositifs permettent d’associer retraite et activité professionnelle. Malgré tout, depuis la réforme pour le cumul emploi-retraite en 2015, l’ensemble est devenu moins attractif, car l’activité exercée pendant le cumul ne permet plus d’acquérir des droits à retraite supplémentaires. De plus, les « cumulants » ont eu une longue carrière en amont (42 ans ou +) et leur niveau de pension est compris entre 702-835 euros bruts par mois. Enfin, ils ne concernent qu’une très faible part des retraités du régime général (moins de 3 %).

Les résultats produits par ces dispositifs ne sont donc pas de nature à inverser favorablement les tendances lourdes liées à la précarité des retraités.

Souligné par l’Insee, le rapport entre les actifs et les retraités pose une véritable contrainte prenant de l’ampleur chaque année. Du côté des entreprises, la situation d’embauche s’est améliorée pour les salariés âgés de 55 à 60 ans (44 %), tandis que le taux d’emploi des 60-64 ans peinait à atteindre les 32 % au premier trimestre 2019.

C’est le cœur du problème. Avec l’allongement de la durée de la vie, nous devrons travailler plus longtemps plus vieux. Autrement dit, c’est bien sur le maintien dans l’emploi des seniors qu’il conviendra d’agir. Or, le déficit démographique a déjà montré le poids qu’il représente dans l’équation, notamment avec certains régimes spéciaux (SNCF et RATP). Certes, on part en retraite plus tôt à l’intérieur de ces régimes.

Les discussions cachent pourtant le véritable problème de gestion rencontré pour leur financement. Ils sont en effet déficitaires en raison d’une démographie mise à mal, variable d’entrée principale pour comprendre le phénomène. Ces régimes spéciaux concentrent ainsi une situation qui renvoie aux difficultés d’équilibre des 42 régimes de retraite confondus. Leur nombre d’actifs cotisants est largement inférieur aux personnes bénéficiaires.

Selon la Cour des comptes en 2017, la SNCF enregistrait 0,55 cotisant pour 1 retraité, soit 144 000 salariés pour 260 000 retraités. Qu’est-il advenu des 116 000 actifs manquants pour avoir un ratio de 1 ? Ils sont pour la plupart sortis de l’effectif sans être remplacés depuis 1990 (207 000 agents SNCF en poste à l’époque). Entre-temps, la SNCF a adopté une stratégie de sous-traitance, supprimé des postes (2 000 emplois pour l’année 2019 sur le secteur fret et 3 000 emplois d’ici 2020 pour le transport passager).

Cette stratégie d’entreprise n’est pas remise en cause ici mais ses effets sont pour autant majeurs. Car de fait, la question du maintien dans l’emploi se retrouve face à une logique incontournable. Quand une entreprise réduit sa masse salariale pour des raisons économiques, ne remplace pas ses départs, ou concentre le travail sur moins d’employés au détriment de l’embauche, elle produit inexorablement parmi les seniors des retraités par anticipation (ou des chômeurs souvent proches de la retraite).

Le fameux « faire plus avec moins de monde » positionne l’individu dans un dilemme forcé : garder son emploi ou en trouver un autre, intégrer les chiffres du chômage de longue durée ou profiter d’un dispositif de départ anticipé. Or, depuis 2015, un individu ne peut pas appartenir en même temps à la masse salariale de son entreprise et percevoir une pension du régime de retraite dont il dépend. Et depuis 2016, la Cour des comptes fait état du peu d’efficacité du Contrat de génération pour le maintien dans l’emploi des seniors de 57 ans ou plus.

Il est enfin difficile de reprocher aux entreprises de chercher à rester compétitives, plus efficientes dans leur gestion, tout en supportant à long terme un coût du travail qui n’a jamais diminué.

Des solutions existent

Les entreprises disposent d’outils qui visent à favoriser le travail des seniors : le CDD Senior, le Parcours emploi compétences (PEC), le Contrat de professionnalisation, l’intérim ou encore le travail en temps partagé. Toutefois, les marges de progression sont fortes, comme le montrent les indicateurs.

Il y a deux niveaux sur lesquels État, employeurs et employés peuvent avancer en tenant compte des intérêts respectifs.

D’abord, en matière de perception et sensibilités sur les différences générationnelles. Cela concerne les valeurs profondes de la diversité des âges au travail. La dimension junior-senior d’un effectif est à reconsidérer. Le simple « passage de témoin » ne suffit plus pour comprendre la mesure de l’enjeu économique qui nous attend d’ici 2050. Le « jeune contre le vieux » n’a plus lieu d’être.

Le cliché de l’ancien qui laisse sa place au nouveau est à reprendre, car ce stéréotype commande une représentation séquentielle au détriment d’une vision intergénérationnelle. Pour les entreprises, c’est en partie un projet RH visant à diminuer les discriminations dues à l’âge (avoir 55 ans est aujourd’hui considéré comme un inconvénient pour 81 % des salariés du privé, 82 % du public).

Deuxièmement, les marges de manœuvre concernent les discours et la simplicité du propos. Car il n’y a pas de vision salutaire d’un senior laissant sa place à un junior, dans un jeu à somme gagnante pour celui ou celle qui reste en emploi. En percevant un salaire, il faudra cotiser pour une population de retraités augmentant toujours plus chaque année. Autrement dit, à chaque fois qu’un senior quittera prématurément le marché de l’emploi, il accentuera le déséquilibre d’un système de financement reposant sur celui qui travaille.

Il suffit d’écouter les arguments d’aujourd’hui pour comprendre que l’effort demandé pourra lourdement peser sur les plus jeunes (allongement de la durée de travail, niveau des cotisations, etc.). Une stabilité relative pour chaque retraité, dépendant alors d’une génération au travail qui devra faire en sorte que le système perdure, sans perdre l’espoir d’un principe de solidarité porteur à long terme.

Si les chiffres semblent jouer contre nous, il reste encore la possibilité de redéfinir les configurations du travail et du partage de sa quantité disponible entre les générations. Car aucune formule magique ne permettra de créer de l’emploi pour les juniors/seniors, si le marché du travail ne leur en propose plus ou trop peu pour chacun.The Conversation

Jean-Pierre Dumazert, Professeur de Management, Excelia Group – UGEI

> Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.