3 questions à… Véronique Descacq, chargée de mission sur la réforme des retraites à la Caisse des dépôts et consignations
Auparavant secrétaire générale de la CFDT banque, Véronique Descacq a ensuite été secrétaire générale adjointe de la CFDT de 2012 à 2018 où elle a participe aux négociations sur l’assurance chômage et aux concertations de la loi El Khomri réformant le droit du travail en 2016, ainsi qu’à celles des ordonnances de 2017. Elle rejoint la Caisse des Dépôts et Consignations en 2018 où elle devient chargée de mission sur la réforme des retraites. Interview.
Que retenez-vous de votre expérience à la CFDT ?
Dans le contexte actuel, j’ai surtout envie de vous dire que le syndicalisme est une activité à forte valeur ajoutée pour la collectivité. Hélas, il est de bon ton de critiquer les syndicalistes. Ils doivent certes s’améliorer, rajeunir et se moderniser. Mais leur utilité sociale doit être reconnue. On ne compte plus les avancées que l’on doit à leur clairvoyance et l’acharnement de leur travail : les 35 heures, l’accès à la formation, à la complémentaire santé, les droits à l’assurance chômage, la protection de la santé au travail… le droit à la dignité au travail, aussi. Que serait un monde du travail dans lequel les travailleurs n’auraient pas la protection, même invisible et diffuse, de représentants du personnel ?
Je suis fière d’avoir contribué à l’élan de progrès social porté depuis longtemps et pour longtemps par la CFDT.
Presque deux ans après l’entrée en vigueur du CPA, pensez-vous que ce dispositif réponde aux promesses qu’il portait ?
Le CPA est un premier pas à consolider.
Il a continué le mouvement engagé il y a une décennie pour attacher des droits aux individus, plutôt qu’aux statuts. Ainsi le CPA est désormais accessible non seulement à tous les salariés mais aussi aux « free-lances ». J’ai souvent rencontré ces « travailleurs autonomes » quand j’étais à la CFDT. Leurs revendications étaient simples : de l’autonomie, de la protection, du partage d’expériences ! le CPA répond en partie à ces enjeux, majeurs pour notre époque : accompagner les mobilités, favoriser l’innovation en protégeant des risques.
Il apporte également une réponse en matière de transformation des activités et des compétences. Il permet un accès élargi à la formation professionnelle, outil essentiel de l’accès et du maintien dans l’emploi. Je ne vous cache pas en revanche que la monétisation du CPF m’inquiète : en venant « marchandiser » l’acte de formation, elle pourrait en écarter encore les plus fragiles. Or parmi les travailleurs autonomes, on retrouve la même dichotomie que dans le salariat, il y a les insiders qualifiés qui continueront à se former, et les outsiders qui n’oseront ou ne sauront pas franchir le pas.
Mais au total, on peut dire que le CPA, ouvert à tous les travailleurs, réceptacle de droits à la formation et d’un embryon de protection sociale pour les indépendants, est un outil au service de l’autonomie et de l’émancipation des individus. Et quoi que les gouvernements veuillent faire ou défaire des réformes engagées par leurs prédécesseurs, le CPA restera une avancée majeure pour les droits des travailleurs. C’est un socle sur lequel bâtir de nouveaux progrès sociaux. Il est dommage que les pouvoirs publics soient un peu frileux dans sa promotion !
Selon vous à horizon de 5 ans, quelles sont les grandes tendances à venir en matière d’emploi et de compétences ?
La transformation des activités et des compétences va s’accélérer. Il faudra permettre aux actifs d’être encore plus mobiles, mais avec encore plus de sécurité. Presque tous les métiers sont concernés par les transformations liées au numérique et à l’intelligence artificielle. Tous les âges de la vie aussi. Aujourd’hui ce sont plus souvent les jeunes qui se forment ou sont mobiles. Le droit de se former et de changer de métier à tout âge est encore largement à conquérir !
Tout ce qui lève des freins à la mobilité est bienvenu. Ce sera le cas de la refonte de nos systèmes de retraite vers un régime universel.
Le gros défaut de notre système social aujourd’hui réside dans l’insuffisance de conception et de moyen pour l’accompagnement. Il faut penser l’accompagnement dans une approche globale qui parte des besoins de la personne. Toutes les personnes pas seulement les plus fragiles. Dans le maquis des dispositifs et des transformations à l’œuvre, personne n’y voit clair tout seul. Il faut faire une révolution culturelle des métiers de l’accompagnement dans l’emploi et de ceux de l’accompagnement social pour les mettre en réseau autour des personnes. Il est urgent de sortir des silos actuels : emploi, protection sociale, politique familiale, aide sociale…. qui sont insuffisamment efficaces et peuvent même stigmatiser.
Et puis il faut -enfin !- donner la capacité à chacun d’épargner du temps pour permettre de financer ou de co-investir dans ses projets individuels qu’ils soient de reconversion, de création d’entreprise, d’investissement sociétal…. La Banque du temps ou le Compte Épargne Temps Universel, c’est vraiment ce qui donnerait tout son sens et son utilité au CPA : un compte qui regroupe l’ensemble de mes droits, que je peux abonder moi-même avec du temps que j’aurai épargner à un moment de ma vie professionnelle où j’en ai eu l’envie ou la possibilité, et que je peux utiliser pour réaliser un projet …ou un rêve. Dans des conditions définies collectivement bien sûr.
Cela fait longtemps que la CFDT porte cette idée. Un beau sujet dont les partenaires sociaux pourraient s’emparer sans attendre.
> Également à lire sur le site de la Fondation Travailler autrement, Note d’analyse – Compte Personnel d’Activité, la synthèse des débats (France Stratégie)