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« Organiser l’autonomie au travail » (Pascal Ughetto, 2018)

L’exhortation à l’autonomie constitue une thématique que l’on retrouve aujourd’hui en abondance dans de nombreux articles de presse, ouvrages, manuels de management et récits héroïques d’entreprises libérées. C’est tout un imaginaire importé depuis la Silicon Valley, empreint de disruption, d’accélération, d’innovation, de collaboration, qui semble agir sur les représentations du travail de demain et avoir un impact en termes d’expérimentations et de tâtonnements au sein des entreprises (créativité, lean management…).

Conçues comme traditionnellement rigides dans leur structuration hiérarchique et leurs process, les entreprises sont appelées à être profondément révisées et à orienter leur dynamique des ressources humaines vers plus d’agilité, d’initiatives individuelles, d’esprit de communauté, à l’image des fablabs, coworking et autres makerspaces. Dans ce contexte, la prescription du travail, tout comme l’encadrement des activités et des personnes, sont remis en cause.

La plume de Pascal Ughetto, à travers l’ouvrage « Organiser l’autonomie au travail », ne tombe pas dans les écueils d’une idéologie sans support, d’une injonction aux airs de performativité bien souvent trop éloignée des pratiques réelles de travail. C’est précisément sur ce point que l’auteur se différencie : en sa qualité de chercheur expert sur la question de la transformation du travail, il met à l’épreuve cette ode à l’autonomie, intensément diffuse dans notre société (à travers les discours politiques, les projets d’entreprise, mais encore le design des dispositifs digitaux) au prisme de l’actualité théorique en sciences sociales. Au fil de son ouvrage, Pascal Ughetto désamorce les outils de cet appel à l’autonomie : la théorie de l’entreprise libérée, le métier de Chief Happiness Officer, la génération des Millenials. 

D’abord, c’est en déficelant les logiques sous-jacentes au déploiement de ces discours et en les inscrivant dans une approche historique, que Pascal Ughetto contribue à rappeler la définition des notions revendiquées. Partant des années 1970 (ère post-taylorienne) jusqu’à nos jours (« l’ère de la digitalisation » depuis 2010), l’auteur met en évidence que les individus ont toujours cherché à être plus autonomes dans leur travail. D’ailleurs, il s’agit du propre de l’activité : le travail réel consiste à se l’approprier, l’éprouver, et faire preuve d’initiative et d’ajustement pour faire face à l’imprévu. Dépasser les cadres de l’activité et les process, pour mener à bien le travail, fait partie du quotidien des travailleurs.

La reconfiguration de l’activité de travail (en termes de temps et de lieu) permise par le nomadisme technologique, invite l’entreprise à se renouveler au-delà des procédés de dématérialisation. La différence de vocable, passé du « numérique » au « digital » (l’on regrette que l’auteur ait fait l’impasse sur la différence entre un langage binaire informatique et l’implication de l’usager) met notamment en évidence l’émergence du phénomène de digitalisation. Les entreprises semblent happées par un discours apologétique de la transformation digitale, revendicateur à la fois d’une forme d’innovation disruptive et d’un mouvement de libération des contraintes pesant sur les salariés.

Or, l’autonomie ne se décrète pas. Dans sa pratique, elle est porteuse d’enjeux importants, tant au niveau du rapport de l’individu à son activité qu’au niveau de la coordination des tâches et de leur inscription dans un contexte précis. Au-delà des discours promoteurs de l’autonomie, une réflexion sur les conditions d’activité et d’organisation de l’activité autonome doit être pensée. Il s’agit de la préconisation principale que Pascal Ughetto formule au fil des pages.

Se posent aussi de nombreuses questions pour l’entreprise : est-elle prête à amenuiser ses dispositifs formels de contrôle ? L’auteur rappelle (voire martèle sporadiquement dans l’ensemble du livre) que l’encadrement du travail et les process sont le résultat d’un travail de régulation et de coordination. De plus, la littérature en sciences sociales nous met en garde : la prescription ne cesse de se renouveler dans tous les contextes étudiés.

L’auteur : Pascal Ughetto  

Pascal Ughetto est professeur à l’Université Paris-Est-Marne-la-Vallée. Ses recherches, au sein du Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS), portent sur les transformations du travail dans divers secteurs (services, industrie, organismes privés, publics et associatifs). Il est membre de plusieurs conseils scientifiques, dont l’ANACT, Entreprise & Personnel, ainsi que l’Observatoire des cadres…

La citation

« Dans le travail de demain, les salariés devront toujours déployer de l’activité, gérer des tensions et des contradictions. Il ne faudrait pas que l’autonomie décrétée conduise à laisser les individus se débrouiller avec ces difficultés »

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