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Faut-il contrôler les télétravailleurs ?

La loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifie diverses ordonnances et apporte une modification à la définition du télétravail dans le code du travail. Ainsi, les ordonnances Macron une fois ratifiées, ont permis d’affirmer la place du télétravail dans les entreprises, à travers l’article L 1222-9 du code du travail qui avait été précédemment introduit en 2012 par la loi Warsmann.

La consécration du télétravail

Cet article dispose désormais que :

« le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication (..) Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe. En l’absence d’accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen. »

Si l’employeur choisit la voie du dialogue social et la signature d’un accord collectif ou d’une charte, il faudra préciser Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ainsi que la fixation des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.

Un télétravailleur est désormais un salarié a part entière et à ce titre bénéficie des mêmes droits que s’il exécutait ses missions au sein de l’entreprise. Le télétravail bénéficie d’un cadre précis qui protège les collaborateurs grâce à cet article L1222-9 :

  • tout salarié qui occupe un poste éligible au télétravail prévu dans l’accord ou la charte ne peut se voir refuser un poste à distance sauf si l’avis de l’employeur est motivé ;
  • un collaborateur qui refuserait un poste en télétravail ne peut voir son contrat de travail rompu pour ce motif ;
  • l’accident qui survient sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle est présumé être un accident de travail (au sens de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale).

La loi a donc profondément amélioré les conditions de mise en œuvre du télétravail mais elle semble néanmoins muette au sujet du contrôle de la performance et de l’évaluation des télétravailleurs. Seul le contrôle du temps de travail et de la charge de travail sont mentionnés.

L’utilisation des NTIC soulève cependant des questionnements relatifs au « monitoring » des salariés en situation de travail à distance. Comment le travail peut-il être évalué à distance ?

Le contrôle des télétravailleurs : surveillance et « monitoring »

D’après une étude réalisée par Malakoff-Mederic en janvier 2018, le télétravail concernerait 25 % des salariés. Cette étude relève le risque d’isolement mais ne s’intéresse pas au contrôle éventuel des salariés.

Flamholtz, (1996) ; Kren, (1997) ; Merchant, (1998) définissent le contrôle comme l’ensemble des mécanismes et processus qui permettent à une organisation de s’assurer que les décisions et comportements développés en son sein sont en cohérence avec ses objectifs. En général, le contrôle influe sur les espaces de liberté (Chiapello, 1996).

Afin de contrôler le comportement des individus l’organisation s’appuie sur des procédures, description de postes, mesure de la performance, système de récompense, (Flamholtz, Das et Tui, 1985), il s’agit là de contrôle organisationnel. La surveillance électronique permise par les NTIC peut permettre de mettre en œuvre une forme de contrôle de l’activité. On parle parfois de « monitoring ».

« Le monitoring électronique des performances des salariés constitue une pratique de management répandue dans les organisations avec l’ambition d’améliorer les performances des organisations. » (Aissi et Neveu, 2013)

Plusieurs auteurs ont ainsi étudié les caractéristiques du monitoring électronique des performances (Ambrose et Alder, 2000 ; Chalykoff et Kochan, 1989). La littérature fait ainsi apparaître quatre caractéristiques d’un monitoring accepté : la fréquence du monitoring, la pertinence du monitoring, la source commanditaire du monitoring et enfin l’existence d’un préavis lors de la mise en œuvre.

Les types de contrôle vont de la surveillance des accès Internet à la gestion des temps à la mise en place de caméras, biométrie, géolocalisation. Le monitoring peut apparaître comme une forme de contrôle social déguisé et un retour des modes d’organisation tayloriens (centre d’appels). Le contrôle peut être assimilé à un système panoptique (Bentham, 1791 ; Foucault, 1975).

Auparavant, les employeurs s’en remettaient aux contremaîtres ou superviseurs afin de suivre le rendement au travail et la qualité du produit, la productivité et la performance des salariés. Les open-space constituaient déjà une expression du contrôle au sein des entreprises : regroupés sur un même plateau où tous se voient, les salariés se surveillent entre eux, stigmatisant ceux qui ne se conforment pas aux règles ou aux normes du groupe. Le surveillant devient mobile. Le contrôle est ainsi facilité, comme dans un système panoptique (Labardin, 2011).

Dans une situation de management à distance, les employeurs peuvent recourir à la technologie pour suivre les performances. La contrepartie de l’utilisation de ces technologies est le développement d’une forme d’autonomie. Les moyens de contrôle mis en place par le management viseraient donc à favoriser une meilleure maîtrise de l’organisation.

Vers plus d’autonomie ou vers le développement d’une.forme d’auto-contrôle ?

La rupture de l’unité de lieu et l’éloignement des collaborateurs questionne sur la structure du travail et la mise en œuvre éventuelle de la supervision.

Craipeau (2010) évoque plusieurs études révélant les problèmes qui apparaissent en situation de télétravail : contrôle électronique mal accepté (P. Bain et P. Taylor, 2000 ; A. Karsenty, 1994), Hausse du contrôle et de la régulation (M.E. Bobillier Chaumon, 2003 ; C. Dambrin, 2004),Difficulté de management (A. Felstead et coll., 2003),Difficulté d’évaluation du salarié et de ses performances (M.E. Bobillier Chaumon, 2003 ; W. Crandall et L. Gao, 2005), Remise en cause de l’équipe de travail (A. Felstead et coll., 2003).

Le télétravail présente des risques de dérives que les accords à venir peuvent éviter : temps de travail excessif, empiétement entre vie professionnelle et vie privée, difficulté à déconnecter. En pratique, les accords déjà conclus au sein des entreprises et répertoriés dans une base de données partent du constat que le travail réalisé en télétravail ne diffère pas de celui réalisé sur le lieu de travail, la charge de travail ainsi que les critères de résultat exigés sont les mêmes ; la mise en place du télétravail ne devrait donc pas conduire à affecter la charge du travail du salarié.

Les procédures de contrôle sont renforcées par l’usage croissant des technologies, la formalisation des tâches, la recherche de légitimité du télétravailleur qui multiplie les contacts avec son employeur, la confiance et les interactions, les modes d’évaluation (Pontier 2014).

Au cœur du processus de négociation des accords ou chartes sur le télétravail, la nécessité pour le management d’intégrer la notion de contrôle tout en laissant une certaine autonomie au collaborateur, s’avère cruciale. De nouvelles formes de contrôle sont apparues avec les évolutions technologiques.

Ces modes de contrôle, qui contraignent parfois les travailleurs dans l’exercice de leur travail, permettent aussi d’amener plus de transparence quant à l’exercice et à la mesure du travail. En situation de télétravail, il faut noter que certains collaborateurs avouent mettre en œuvre eux-mêmes une forme d’auto-contrôle. Le développement du télétravail et son déploiement au sein d’entreprises de plus en plus nombreuses questionne sur l’avenir du contrôle des collaborateurs.

À noter : L’Ecole de management de Normandie organise le 25 septembre l’inauguration de la chaire de la transformation numérique.The Conversation

Caroline Diard, Professeur associé en Management des Ressources Humaines et Droit – Laboratoire Métis – Membre de l’AGRH, École de Management de Normandie – UGEI

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.