La robotisation mène-t-elle à la fin du travail ?
D’après une étude menée par Daron Acemoglu (MIT) et Pascual Restrepo (Boston University), lorsque l’on introduit un robot à un certain « poste » dans une industrie, il conduit à la destruction de 6,2 postes dans la zone géographique qui l’entoure. Mais que nous enseigne la science économique à ce sujet ? Les robots mènent-ils inévitablement à la disparition du travail ?
Les effets contrastés du progrès technique sur l’emploi et les inégalités
Dans les grandes lignes, la science économique nous apprend que le progrès technique profite à certaines catégories de travailleurs et nuit à d’autres. On considère le plus souvent que le progrès technique peut nuire aux travailleurs peu qualifiés, en remplaçant par exemple les poinçonneurs du métro par des tourniquets, des caissières par des scanneurs ou encore des concierges par des digicodes. Il ne faut alors pas minimiser son rôle dans l’augmentation des inégalités entre travailleurs.
Cependant, une innovation peut profiter aux travailleurs peu qualifiés et nuire à certaines catégories de travailleurs qualifiés : ce fut le cas par exemple pour la chaîne d’assemblage inventée par Henry Ford, qui rendit obsolète tout un savoir-faire artisanal dans le domaine de l’automobile, tout en contribuant en même temps à la hausse des salaires ouvriers.
Depuis le milieu des années 1970, l’économie mondiale connaît une nouvelle vague d’innovations – automation, NTIC… – ayant des effets asymétriques selon les catégories de travailleurs considérés. En général, ces innovations sont considérées comme responsables de la hausse des inégalités salariales de la plupart des pays occidentaux au cours des quatre dernières décennies.
Pourtant, il est admis qu’à long terme, le progrès technique est le facteur principal de la hausse extraordinaire des salaires réels et du niveau de vie des consommateurs observée depuis la révolution industrielle. Mais, les récents progrès de la robotique pourraient bien remettre en question cet optimisme et donner raison aux cassandres qui prophétisent la fin du travail.
Six scénarios, avec ou sans « mécanismes de transferts »
Dans un article récent, je considère six scénarios pour éclairer cette question. Dans trois d’entre eux, une classe humaine quasi-oisive se maintient grâce à des transferts prélevés sur la production effectuée par des robots.
Ces transferts peuvent s’effectuer à travers l’État-Providence, le clientélisme d’une oligarchie possédant les robots, ou le maintien néo-fordiste d’emplois tertiaires dont la fonction essentielle serait le versement d’un salaire qui permettrait le maintien du pouvoir d’achat.
En l’absence de mécanismes redistributifs, j’envisage trois autres scénarios. Selon le scénario des rentiers, des dynasties de travailleurs épargnent suffisamment pour que leurs descendants vivent exclusivement de leurs revenus financiers – générés indirectement par les robots ; et cette classe est suffisamment nombreuse pour s’opposer politiquement à la mise en place de mécanismes redistributifs en faveur des travailleurs.
Selon le scénario malthusien, le salaire tombe au niveau du salaire de subsistance et la population humaine diminue, ne laissant subsister qu’une classe de rentiers vivant de la possession des robots. Selon le scénario virtuel, le salaire de subsistance lui-même baisse considérablement sous l’effet des nouvelles technologies : la population se maintient en dépit des baisses de salaire.
La menace des robots autoformés
Ces scénarios me permettent d’avancer que l’émergence de robots flexibles et capables d’apprendre pourrait représenter une réelle menace pour les emplois, car elle permettrait la production massive de substituts peu coûteux à toutes les formes de travail humain.
Dans ces conditions, redéployer les ressources humaines libérées par l’autonomisation vers de nouvelles activités ne sera plus possible, puisque ces nouvelles tâches pourront également être effectuées par des robots.
Ainsi, la robotisation achèverait la transition vers une société ou l’expression « gagner sa vie » n’aura plus de sens. La consommation des humains sera financée par les revenus des robots qu’ils possèdent, des transferts redistributifs, et son caractère gratuit car largement virtualisée.
Gilles Saint-Paul, Économiste, Chaire associée, Paris School of Economics – École d’économie de Paris
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.