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Laurent Grandguillaume : « Nous avons besoin de réforme pour faire face aux évolutions du monde du travail »

Député PS de la Côte-d’Or, co-président du Conseil de simplification pour les entreprises, Laurent Grandguillaume est aussi l’auteur de « La Gauche a perdu sa boussole, offrons-lui un GPS! ».  Nouveau membre du conseil d’administration de la Fondation Travailler Autrement, il livre son analyse du monde du travail et des nouvelles formes d’emploi. 

 

Dans votre livre « La Gauche a perdu sa boussole, offrons lui un GPS!« , vous encouragez les décideurs à « changer de grille de lecture ». Quelle nouvelle grille de lecture serait plus en phase avec les mutations du monde du travail ?

La digitalisation crée de plus en plus de travailleurs indépendants mais aussi des micro-jobs. Le modèle du salariat n’est d’ailleurs pas pour autant remis en cause par ces nouveaux travailleurs et les deux modèles co-existent. Le problème est que certaines plateformes essaient d’en avoir le monopole. Face à ces bouleversement, les modèles sociaux doivent évoluer tout comme la conception que l’on a du travail. On se retrouve avec une multitude de nouveaux travailleurs et on va vers plus de flexibilité, mais il faut l’accompagner de plus de protection. Or pour le moment, ce n’est pas le cas.

Il existe des modèles qui permettent d’emprunter une 3e voie, en alliant souplesse et protection des personnes, et pourtant on ne parle pas assez de ces modèles. Le portage salarial en est un très bon exemple.

Une Loi Travail était-elle nécessaire ?

Nous avons besoin de réformes pour prendre en compte ces évolutions et notamment les nouvelles formes de trajectoires personnelles, car les individus seront de plus en plus amenés à exercer plusieurs emplois au cours d’une carrière, et plus le même pendant 40 ans. Pour prendre en compte ces réalités et accompagner les mutations, il faut transformer les réglementations et mieux réguler. Cette loi permet de répondre à une partie des sujets, mais à une partie seulement.

Je prendrai deux exemples. Le droit à la déconnexion et le CPA. Le premier va dans le bon sens, car à l’heure de la quantification des données et de l’évaluation permanente des travailleurs, il est nécessaire de pouvoir préserver des espaces de liberté. Quant au CPA, il contribue à la sécurisation des parcours et permet de protéger les personnes mais surtout d’acquérir de nouveaux droits en prenant en compte des différents moments de vie dans la vie professionnelle

Le problème est que l’on reste dans des débats très idéologiques où les mots ont beaucoup d’importance. On considère que tout doit être négocié à un niveau national alors que les entreprises se développent dans des territoires avec une empreinte sociale économique et écologique locale forte. Il serait donc normal de développer un dialogue social territorial donc les accords d’entreprise. C’est pourtant un des points qui a suscité le plus d’opposition, alors même qu’il est nécessaire de négocier dans l’entreprise pour adapter les besoins au niveau du territoire. Mais dans notre pays très jacobin, on veut inventer toutes les solutions au niveau national et ensuite les appliquer uniformément.

La Loi Travail a été certes mal engagée sur la question du dialogue social qui n’a pas été suffisamment développée en amont. Mais dès que la question du travail a été abordée, elle l’a été sur un ton idéologique, alors qu’aujourd’hui, les jeunes de la génération Y ont envie de travailler différemment. Ils ont besoin d‘autonomie voire d’indépendance avec la nécessité d’avoir des protections. Notre mode de fonctionnement actuel fait qu’il y a des trous dans la raquette et des millions de travailleurs invisibles mais qui attendent que les réformes prennent en compte leur situation.

Le CPA est un projet avancé et défendu par la Fondation. Vous parlez « d’une belle idée » mais comment la rendre effective ?

Le CPA peut apporter de nouveaux droits et pourquoi ne pas porter un statut de l’actif qui permettrait de couvrir toutes les situations. Aujourd’hui il est très complexe de passer d’un statut à un autre. Pour les entrepreneurs par exemple, il existe plus dix caisses de recouvrement des cotisations sociales. Autant dire que changer de statut c’est compliqué, sans compter qu’il peut y avoir des périodes où le travailleur est non couvert. C’est autour de ces questions qu’il faut travailler. Le CPA est une bonne mesure mais c’est le 1er étage de la fusée. On doit aller plus loin.

Il faut cependant rester vigilant sur son application, faire des tests PME pour vérifier qu’il ne représente pas un alourdissement des tâches administratives. La simplification dès le départ doit être pensée pour ne pas être perçue comme une usine à gaz, comme c’est le cas dans les débats pour le compte pénibilité.

Votre proposition de loi « Territoire Zéro Chômage » en février a été unanimement saluée et depuis, s’organisent des actions test. Est-il possible de l’étendre sur tout le territoire ? 

La loi d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée a été promulguée le 1er mars 2016 et son décret d’application devrait être publié bientôt. Concrètement, c’est le moment où le Fond National d’Expérimentation va être mis en place (d’ici le 18 juillet), présidé par Louis Gallois président de la FNARS. Ce fond est d’ailleurs une association, ce qui permet de laisser de la souplesse dans l’application de la loi.

Pendant cinq ans dans dix territoires d’environ 20.000 habitants maximum seront mises en place des activités pour répondre aux besoins économiques et sociaux du territoire par l’intermédiaire des entreprises de l’économie sociale et solidaire, qui ne devront pas entrer en concurrence avec des activités existantes. Elles proposeront aux chômeurs de longue durée (de plus d’un an) un CDD, rémunéré au smic au départ, qui s’appuie sur leurs compétences. Il faut savoir qu’un chômeur sur deux est un chômeur de longue durée et si on a souvent l’impression qu’ils sont totalement éloignés de l’emploi, beaucoup d’entre eux ont des qualifications et ont fait des formations mais ne trouvent pas d’emploi. Le problème est que l’on manque d’emplois : les besoins existent, mais on ne développe pas les activités pour y répondre. C’est dans cet esprit que l’entreprise d’économie sociale et solidaire « à but d’emploi » bénéficiera d’un financement de 18.000 euros la première année, dégressif sur cinq ans – sur chaque emploi créé avec pour objectif d’établir un modèle économique durable. Cette loi est d’ailleurs soutenue par ATD Quart Monde, Emmaüs France, Caritas ou encore la Fnars.

Il faut cependant rester prudent sur son application car une telle loi bouscule les habitudes notamment pour l’administration centrale. Il faut bien laisser la liberté d’innover aux territoires et non leur imposer un cadre contraignant depuis Paris. Je me suis beaucoup déplacé pour présenter cette loi et l’accueil a été très bon, il y avait beaucoup de monde aux réunions (citoyens, acteurs ESS ou de l’insertion, CCI, artisanat). On se rend vite compte que c’est un projet qui fédère alors même que ces acteurs ne sont pas forcément habitués à travailler ensemble. Ce type de projet peut servir à décloisonner et à se donner des objectifs communs. Les conditions de la réussite de ce genre de projet sont la mobilisation des acteurs locaux, de tout un chacun tout le long du processus.

D’un point de vue très pragmatique, l’aide apportée représente uniquement le coût du chômage longue durée. Quand quelqu’un sort du chômage, ce sont des économies pour l’État et les collectivités territoriales et ces économies vont être injectées dans son financement des entreprises. Tout le monde voit bien que c’est un projet innovant, ne serait-ce que sur le financement : on raisonne davantage sur les coûts évités que sur les coûts investis. L’autre innovation est le mode d’évaluation : on utilise désormais des nouveaux indicateurs de richesses ou de bien-être et non plus uniquement des indicateurs quantitatifs du nombre d’emplois créés.

« La Gauche a perdu sa boussole, offrons-lui un GPS »,
Éditions du Moment, avril 2016