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5 questions à… Franck Morel, Avocat associé chez Flichy Grangé Avocats

Expert reconnu du droit du travail depuis près de vingt ans, Franck Morel est avocat associé chez Flichy Grangé Avocats, cabinet de référence spécialisé en droit du travail. Conseiller de plusieurs cabinets ministériels entre 2007 et 2020, senior Fellow auprès de l’Institut Montaigne, il est aussi membre du conseil d’administration de la Fondation Travailler autrement. Auteur de plusieurs ouvrages sur le droit du travail et le temps de travail, il a accepté de répondre à nos questions au sujet de sa note remise à l’Institut Montaigne en septembre 2020 : « Rebondir face au Covid-19 : neuf idées efficaces en faveur de l’emploi ».

Quels sont les grands enseignements de votre analyse ?

Après une baisse du chômage depuis le début du quinquennat, la crise  de la Covid-19 plonge, depuis plusieurs mois, la France dans une situation inédite en matière d’emploi. Alors que le nombre de demandeurs d’emplois augmente considérablement, les entreprises doivent pouvoir faire face à ces aléas d’activité et s’adapter, innover.  Elles ont besoin d’un cadre souple et efficace, reposant sur le dialogue social, afin d’empêcher l’affaissement de pans entiers de notre économie. J’ai voulu dans cette étude montrer qu’il est indispensable d’agir sur quatre grands ensembles de leviers pour être efficace :

  • renforcer les souplesses en matière de temps de travail ; la crise de 2009 et le recours massif à l’activité partielle nous montrent que c’est ce qui permet de préserver les emplois
  • faciliter l’embauche avec des règles relatives aux contrats de travail, qui puissent permettre de répondre aisément, rapidement et de manière « sur mesure » aux différents besoins des entreprises
  • sécuriser les actifs via des garanties sociales et un accès à la formation mieux ciblé
  • renforcer la démocratie sociale ; nous avons vu que le dialogue social a aidé à apporter des réponses en matière de règles de protection de la santé ou d’activité partielle de longue durée

Le cahier des charges repose donc sur le pragmatisme, nourri de l’expérience des crises, la créativité, la souplesse et la simplicité de mise en œuvre et le dialogue social.

Comment le dialogue social peut-il s’organiser concrètement dans les PME et TPE, où il n’y a pas forcément de représentants ?

Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont apporté de vraies solutions à cette question. Ainsi, dans les TPE de moins de 20 salariés qui n’ont pas de représentants du personnel, il est possible de soumettre un projet d’accord collectif à approbation par une majorité des 2/3 des salariés. Dans les entreprises de moins de 50 salariés qui disposent de représentants élus du personnel, la négociation peut se faire directement avec ces derniers, sans nécessité de passer par  un salarié mandaté par une organisation syndicale. Plus  de 27 000 accords ont été conclus en 2019 dans des entreprises de moins de 50 salariés, contre moins de 20 000 en 2018. La tendance est donc à une utilisation plus large des possibilités offertes depuis 2017.

Pour les plus grandes entreprises, il existe des mécanismes plus anciens qui permettent de même de négocier avec un salarié mandaté par une organisation syndicale ou à défaut avec les élus du personnel. D’une manière générale, il faut à mon sens élargir les possibilités de recours au référendum pour permettre de conforter la prise en considération de l’avis des salariés, déjà pris en compte plus largement depuis la réforme de la représentativité des syndicats en 2008.

Pensez-vous que le CDI tend à disparaitre, pour laisser la place aux nouvelles formes d’emploi (CDI intérimaire, indépendant, CTT, prêt de main d’œuvre…) ? Est-ce une bonne chose ?

Le CDI ne disparaitra pas mais d’’une manière générale, l’évolution des formes d’emploi et d’activité atypiques est constante depuis cinquante ans. De nouvelles formes d’emploi ont été organisées par le droit pour répondre aux besoins divers de souplesse et de sécurité des actifs et des employeurs : intérim et CDI de chantiers dès les années 1970, CDD d’usage en 1990, temps partagé et portage salarial dans les années 2000, prêt de main d’œuvre avec la loi de 2011… Ces nouvelles réponses, issues de longues phases de dialogue social et de création d’un cadre, sont profitables à la fois aux indépendants et aux employeurs, car elles permettent une diversité d’offres et d’accès aux différentes activités tout en apportant souplesse et sécurité.

Je plaide dans le rapport pour un assouplissement pérenne des règles pour favoriser ces formes d’emploi, notamment le prêt de main d’œuvre et CDI intérimaire. Le prochain défi qui se présente à nous, et pour lequel nous allons construire un vrai modèle, est celui de la sécurisation de l’activité des plateformes de travailleurs indépendants, car ces derniers ont besoin de garanties sociales.

Dans ce contexte, comment va évoluer le recours aux tiers de confiance ?

Le tiers de confiance est celui qui peut favoriser l’exercice de ces formes d’activités. Dans une relation entre un offreur de service et un acheteur de celui-ci, il peut servir d’interface facilitant la mise en relation, la gestion administrative de la relation, offrant un cadre sécurisé aux deux parties pour que la relation professionnelle soit à la fois souple et sécurisée. Il existe dans plusieurs formes de relations triangulaires de travail l’intervention d’un tiers dont l’action est essentielle et liée à la raison d’être de la forme d’activité (plateformes d’indépendants, portage salarial, intérim, travail à temps partagé…) mais l’action du tiers de confiance peut sans doute s’étendre au-delà et dans le cadre de cette évolution vers des solutions plus diversifiées, apporter de nouvelles réponses aux besoins de garanties sociales et de sécurité. C’est l’un des enjeux des années à venir et prendre en compte cet acteur essentiel au dialogue pourrait aider au développement du travail indépendant.

 Quelle place doivent tenir l’Etat et les collectivités territoriales dans l’aide au développement des nouvelles formes d’emploi en entreprise ?

L’Etat va jouer le rôle de facilitateur et d’expert. Il va favoriser l’adaptation du droit, l’émergence et la vie d’un cadre juridique et économique équilibré et propice au développement de l’activité. Les collectivités locales, quant à elles, peuvent jouer un rôle plus grand qu’aujourd’hui car le développement de formes d’emplois et d’activités diverses constitue une réponse non seulement au problème du chômage mais aussi à celui des territoires.

C’est dans ce sens que je propose que les communes et les régions puissent intervenir plus largement dans la construction d’un cadre de garanties sociales pour les travailleurs indépendants. La loi permet déjà à la commune d’accorder des aides, lorsque l’initiative privée est défaillante ou insuffisante pour assurer la création ou le maintien d’un service nécessaire à la satisfaction des besoins de la population. C’est notamment le cas en milieu rural et dans les villes comprenant un ou plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville. Cela peut se faire sous réserve de la conclusion avec le bénéficiaire de l’aide d’une convention fixant les obligations de ce dernier. Pour compléter ces aides, la commune peut passer des conventions avec d’autres collectivités territoriales concernées pour disposer de moyens adaptés à la conduite de ces actions, notamment au plan financier. On pourrait élargir et compléter ces dispositions pour dynamiser le travail indépendant sur certains territoires.

> Accédez à la note complète de Franck Morel sur les idées efficaces en faveur de l’emploi, ou à son résumé.

> Également à lire sur le site de la Fondation Travailler autrement : Les mesures de soutien aux entreprises et aux indépendants