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Bernard Gazier : « Derrière la diversité des formes d’emploi, la complexité des trajectoires professionnelles et personnelles »

Bernard Gazier, économiste spécialiste des politiques de l’emploi et membre du Comité scientifique de la Fondation Travailler Autrement, a présidé le groupe de travail à l’origine du rapport « La diversité des formes d’emploi ». Publié par la Commission « Emploi, qualification et revenus du travail » du CNIS, ce rapport propose un état des lieux de l’outil statistique français et le met à l’épreuve de l’appréhension des nouvelles formes d’emploi.

Pourquoi s’intéresser à l’appareil statistique français qui porte sur le travail ? Quels en sont les enjeux?

Mieux connaître et mieux mesurer la diversité des formes de travail et d’emploi est aujourd’hui un enjeu majeur de politique publique et du débat social. En effet, on constate une tendance à la diversification des statuts d’emploi et à la fragmentation du travail, qui pose d’abord la question de l’acceptabilité sociale des situations faites aux travailleurs. Si pour certains la diversité des formes d’emploi peut-être un atout, voire une opportunité de développement, pour d’autres, il peut s’agir de contraintes, voire d’enfermement dans des pièges à précarité dont il est difficile de sortir : avec des revenus faibles et instables et peu de compétences, comment s’engager dans des itinéraires choisi et qualifiants ?

Deux autres enjeux viennent se greffer sur celui-ci : d’une part, l’égalité entre les femmes et les hommes, les femmes étant plus souvent victimes des « miettes d’emploi »; et d’autre part, un enjeu majeur de financement de la protection sociale, certaines formes d’emploi se développant dans des conditions de non-paiement des cotisations sociales ou même d’évasion fiscale ou sociale.

Le rapport remis au CNIS parle de la confusion croissante des frontières entres les statuts de travail. Pouvez vous en dire plus?

Les statuts des travailleurs ont longtemps été organisés selon une logique dichotomique simple : d’un côté, le travail salarié et de l’autre, le travail indépendant. On constate aujourd’hui qu’il existe des catégories hybrides, par exemple les indépendants économiquement dépendants, ou encore les dirigeants salariés. Ce premier brouillage se double d’un second, qui tient à l’intervention de plus en plus fréquente de tiers venant s’interposer entre le travailleurs et l’utilisateur de son travail (qu’il s’agisse d’un employeur ou d’un client). Parmi eux, les plateformes mais aussi l’intérim, les employeurs en régie, les organisations envoyant des stagiaires… Ces tiers sont nombreux et peuvent obéir à des logiques très diverses, marchandes ou non marchandes par exemple. Un défi majeur posé au dispositif français de mesure de l’emploi est de mieux répertorier ces tiers et de mieux mesurer les effectifs dont ils organisent le travail et la rémunération.

Votre rapport fait 60 propositions organisées en 10 thèmes, priorisées et temporalisées. Pourquoi faites vous plusieurs recommandations sur la mesure des transitions professionnelles? Et comment cette dernière est traduite dans les statistiques?

Derrière la diversité des formes d’emploi se trouvent la diversité et même la complexité des trajectoires professionnelles et personnelles : par exemple, occuper un emploi de courte durée, devenir indépendant, puis se mettre en couple et faire un enfant, puis devenir salarié, puis peut-être cumuler un emploi salarié à mi-temps et une activité d’indépendant… Il devient vital de mieux comprendre et mesurer les transitions professionnelles, afin d’établir un diagnostic sur le degré d’autonomie et le niveau de vie à moyen terme des personnes et de leurs familles. La question au final n’est plus simplement « avez-vous un emploi stable et correctement rémunéré ? », quoique cette question demeure évidemment pertinente, mais elle doit être complétée par d’autres questions sur les compétences et la capacité à évoluer professionnellement et à trouver des occasions de travailler. Ceci suppose la mobilisation de statistiques longitudinales (observant les situations des personnes au cours du temps), celles-ci existent mais ne sont pas encore assez nombreuses ni assez détaillées pour informer correctement le débat social.

Le rapport Diversité des formes d’emploi

Mais aussi sur le site de la Fondation ITG Travailler Autrement.:

> l’article sur l’étude de Bernard Gazier

Etude européenne 2014 sur les Transitions professionnelles de la Fondation Travailler Autrement